Empêtrements dans des engins de pêche, collisions avec des navires et changements climatiques : les baleines noires de l’Atlantique Nord n’ont pas la vie facile depuis quelques décennies. Des scientifiques de l’Université St Andrews, au Royaume-Uni, ont récemment étudié les effets cumulatifs de ces stresseurs sur la santé et la survie de cette baleine en voie de disparition. Ils ont conclu que sa santé était majoritairement influencée par les empêtrements et les collisions, ainsi que par les variations de l’abondance de proies dans son environnement.

Les chercheurs et les chercheuses ont utilisé des données récoltées sur 729 baleines noires de l’Atlantique Nord entre 1970 et 2020 pour arriver à ces conclusions. Grâce à un modèle évaluant les effets cumulés de différents stresseurs, anthropiques ou non, l’équipe de recherche a pu établir que le niveau de santé des baleines noires avait augmenté légèrement jusqu’en 1990 avant de décliner et se stabiliser vers les années 2000. Depuis la dernière décennie, la santé de la baleine noire est cependant en déclin constant.

D’après cette étude, les empêtrements dans les engins de pêche et les collisions avec les navires seraient les principaux stresseurs influençant la santé de la baleine noire. Comme ces évènements touchent instantanément les individus, les conséquences, comme des blessures ou le décès de l’animal, sont plus facilement mesurables.

La population mondiale de baleines noires de l’Atlantique Nord compte actuellement moins de 350 individus, répartis entre les eaux des États-Unis et du Canada. L’espèce est considérée en voie de disparition depuis 1980 par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC). Les stresseurs anthropiques ayant présentement des répercussions sur la baleine mettent donc sa pérennité en jeu.

Femelles et juvéniles à surveiller

La probabilité de reproduction chez une femelle serait directement liée à ses chances de survie, expliquent les chercheurs et les chercheuses. Pour une baleine en bonne santé, le succès reproductif serait plus élevé ainsi que les chances de survie de sa progéniture. À l’inverse, une baleine ayant subi des collisions, des empêtrements et dont le niveau d’énergie est plutôt bas verra son succès reproductif diminuer au même titre que les chances de survie de sa descendance.

Effectivement, lorsqu’une baleine s’empêtre dans un engin de pêche, cela nuit à ses déplacements et à sa capacité à s’alimenter, en plus de l’affaiblir. Les femelles doivent déjà puiser dans leurs réserves d’énergie pour être en mesure de se reproduire et mener à terme un veau. C’est donc un défi supplémentaire de le faire dans cet état! Si la femelle réussit malgré tout à mettre bas, son niveau d’énergie déjà très faible continuera de diminuer, puisqu’elle devra allaiter son petit, une activité exigeante énergétiquement.

Pour les collisions entre les baleines et les navires, le même principe peut être observé : si la femelle met de l’énergie à guérir de ses blessures, elle en aura moins pour se reproduire et accompagner sa progéniture.

D’autres études ont relevé une importante quantité de glucocorticoïdes chez les baleines empêtrées. Cette hormone naturellement produite par l’organisme est sécrétée lors de situations occasionnant un stress chez l’animal, comme l’évitement de proies, des conditions météorologiques intenses, mais aussi lors de collisions et d’empêtrements. Présente en trop grande quantité, elle peut nuire à la reproduction.

La charge allostatique ressentie par les juvéniles les rendrait eux aussi plus vulnérables aux stresseurs présents dans leur milieu. La charge allostatique réfère à un stress à long terme ressenti par l’individu en raison de l’énergie qu’il doit déployer pour s’adapter à son nouvel environnement. Les jeunes baleines sont donc très sensibles à leur milieu et la présence accrue de navires et d’engins de pêche ne fait qu’augmenter cette vulnérabilité.

Une question d’abondance

Il semblerait aussi que l’abondance de proies dans l’environnement fréquenté par la baleine noire influencerait son état de santé et, indirectement, sa survie, mentionnent les scientifiques de l’Université St Andrews. La limitation en termes de nourriture affecterait encore une fois davantage les femelles, puisqu’elles ont besoin d’énergie pour se reproduire et mettre bas dans l’année qui suit. Un manque de nourriture peut donc éventuellement mettre la survie de la femelle en péril, ainsi que celle de son veau. Pour les années où l’abondance de proies était moindre, des études antérieures ont noté que le succès reproductif de la baleine noire était plus bas et que la mortalité reliée aux empêtrements et aux collisions était plus élevée.

Cette fluctuation de l’abondance de proies peut en partie être due aux changements climatiques, qui forcent une redistribution des proies dans des environnements où elles sont plus adaptées. De ce fait, les baleines noires devront elles aussi changer d’aires de répartition pour se nourrir, un phénomène déjà observé dans l’Atlantique Nord. Les individus se retrouvent donc dans des zones où le risque de collision et d’empêtrement augmente en raison d’un plus grand trafic maritime et d’une pêche accrue.

L’équipe de recherche nuance toutefois ses propos: même si cette étude donne une bonne idée de l’impact des empêtrements et des collisions sur la santé des baleines noires de l’Atlantique Nord, d’autres analyses seront nécessaires afin de mieux saisir la dynamique entre les stresseurs anthropiques et cette baleine en voie de disparition.

Entre inquiétude et espoir

Depuis le début de l’année 2023, déjà sept baleines noires ont été retrouvées empêtrées ou décédées dans l’océan Atlantique Nord, un bilan plutôt élevé comparé à la même période l’an dernier.

En revanche, des solutions existent déjà pour prévenir et réduire les collisions et les empêtrements. C’est donc en agissant rapidement sur les facteurs qui impactent à court terme les baleines noires de l’Atlantique Nord que celles-ci pourront mieux s’adapter aux changements à long terme ayant lieu dans leur environnement, concluent les scientifiques responsables de l’étude.

Actualité - 16/3/2023

Odélie Brouillette

Odélie Brouillette s’est jointe à l’équipe du GREMM comme rédactrice et naturaliste en 2022 et elle est de retour depuis l'hiver 2023 comme chargée de projet en vulgarisation scientifique. Biologiste de formation, elle aime apprendre et communiquer aux autres ce qui lui tient à cœur. Fascinée depuis toujours par les milieux marins et les baleines, elle souhaite, par la sensibilisation et la vulgarisation, contribuer à leur protection.

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