Depuis 2015, une présence accrue des baleines noires de l’Atlantique Nord est remarquée dans le golfe du Saint-Laurent. L’événement de mortalité inhabituelle en 2017, alors que 17 carcasses ont été retrouvées, a tiré la sonnette d’alarme. Cette espèce, historiquement absente de la région, s’est déplacée de son aire de répartition traditionnelle. Ce changement s’explique par une variation dans la disponibilité des proies que ce cétacé consomme. Pourquoi les baleines noires fréquentent-elles désormais le golfe du Saint-Laurent? Des chercheurs des États-Unis et du Canada se sont intéressés à cette question.

L’article paru dans Limnology and Oceanography traite du changement d’habitat des baleines noires de l’Atlantique Nord. L’océanographie de l’océan Atlantique, surtout au nord-ouest, change: il se réchauffe plus rapidement que les autres océans. Cela a des impacts sur la disponibilité des proies consommées par ces géantes des mers.

Ce sont un peu plus de 55 000 observations de baleines noires de l’Atlantique Nord – à partir des bases de données du North Atlantic Right Whale Consortium, de Pêches et Océans Canada, de Transport Canada et de la Station de recherche des îles Mingan (MICS)– qui ont été recensées, sur trois décennies, entre 1990 et 2018.

Des données d’abondance de zooplancton, la nourriture que cette espèce consomme, ont aussi été analysées et mises en relation avec les observations dans plusieurs régions. Des comparaisons entre les décennies ont permis de tirer deux conclusions: les baleines se sont mises à fréquenter le golfe du Saint-Laurent pendant le printemps, l’été et l’automne, et à éviter le golfe du Maine, la baie de Fundy ainsi que la plate-forme Néo-Écossaise. Qu’est-ce qui explique ce changement? Le nombre de proies disponibles a diminué significativement dans ces régions. Les baleines noires n’ont d’autre choix que de se réfugier dans le golfe du Saint-Laurent. Or, il n’y a pas plus de nourriture dans le golfe qu’autrefois, il s’agit seulement du «dernier restaurant ouvert».

Nombre d’inquiétudes

La faible quantité de nourriture disponible nuit au taux de reproduction de cette espèce en voie de disparition. La grossesse, la mise bas et l’allaitement occasionnent une forte demande énergétique. Les baleines noires fréquentent dorénavant davantage de zones qui ne sont pas protégées. Il existe notamment deux réserves naturelles de baleines dans la région de la plate-forme Néo-Écossaise et de la baie de Fundy qui ont été créées au début des années 1990. Ce sont les bassins de Grand Manan et de Roseway. Ces zones protégées sont cependant de moins en moins fréquentées par les baleines noires, car la nourriture manque.

Dans le golfe du Saint-Laurent, ces baleines sont davantage exposées à des risques d’empêtrement dans des engins de pêche et de collisions avec des navires. Quelques mesures de protection ont été instaurées dans cette région, en réponse à la présence de cette espèce, comme des limites de vitesse pour certains navires ainsi que des zones de restriction à la pêche ou à la navigation. Il est toutefois difficile de mettre en place davantage de mesures de protection, puisque leur distribution et leur utilisation des habitats en fonction des saisons sont changeantes. L’étude a permis de déterminer plus précisément les secteurs fréquentés depuis 2010 par les baleines noires de l’Atlantique Nord, offrant ainsi une base sur laquelle se fonder pour la mise en place de nouvelles aires protégées.

Depuis 2021, le nombre de nouveau-nés a augmenté chez les baleines noires. Cela pourrait indiquer que la région du golfe du Saint-Laurent devient adéquate pour cette espèce, soit parce qu’elle s’est habituée à la région, soit parce qu’il y a davantage de nourriture. Il est estimé que les changements climatiques pourraient modifier l’aire de répartition des copépodes consommés par la baleine noire (Calanus finmarchicus) qui pourraient migrer vers le pôle dans les prochaines années. Afin de s’adapter aux changements climatiques, il est possible que les baleines noires de l’Atlantique Nord se mettent à consommer de nouvelles proies: d’autres espèces de copépodes, par exemple Calanus Hyperboreus, qui abondent dans le golfe du Saint-Laurent.

Une distribution traditionnelle qui change

Le trajet migratoire des baleines noires de l’Atlantique Nord est conçu en fonction de leurs déplacements entre les zones de reproduction, de mise bas, d’alimentation et de transit. Les femelles, accompagnées de juvéniles et parfois d’autres individus, donnent naissance dans le sud-est des États-Unis, près de la Floride, pendant l’hiver. Des années 1980 à 2010, vers le printemps, ces cétacés rejoignaient le golfe du Maine pour s’alimenter. Ils poursuivaient ensuite leur migration pour finalement rejoindre les bassins de Grand Manan et de Roseway dans la région de la plate-forme Néo-Écossaise et de la baie de Fundy à l’été et l’automne. Bien qu’elles étaient parfois observées hors de ces zones, leur distribution a significativement varié depuis les années 1990, et de façon plus prononcée depuis les années 2010.

Zoom sur l’alimentation des baleines noires de l’Atlantique Nord

Parmi les organismes hétérotrophes, c’est-à-dire qui se nourrissent de substances organiques, le zooplancton se divise en trois grands groupes: les crustacés, les rotifères et les protozoaires. Parmi les crustacés, il y a les cladocères et les copépodes. Ces derniers se retrouvent dans tous les milieux aquatiques, du petit étang au grand océan. Les copépodes mesurent entre 0,5 et 3,5 mm. Ils se nourrissent de protozoaires, de petits crustacés, et parfois de larves. Certains d’entre eux sont herbivores.

Les baleines noires de l’Atlantique Nord sont des baleines à fanons qui se nourrissent abondamment de copépodes de l’ordre Calanoida. L’espèce de copépodes Calanus finmarchicus est une proie de choix pour cette espèce de baleine. Les changements de conditions du milieu dans lequel vivent les copépodes, comme le réchauffement et la variation de la salinité de l’océan Atlantique, ont des effets sur leur capacité de survivre.

Actualité - 8/12/2022

Chloé Laprise

Chloé Laprise a rejoint l’équipe de rédaction de Baleines en direct à l’automne 2022. Étudiante au baccalauréat en études de l’environnement à l’Université de Sherbrooke, elle a le souci de faire connaître les beautés de la nature et d’encourager sa protection à tous ceux qui s’y intéressent.

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