Dans la lumière d’après-midi, ses vibrisses bien fournies brillent. La petite tête s’approche d’un rocher. Pendant une minute, le phoque peine à grimper sur la roche glissante. «Ça m’a paru une éternité tellement il avait l’air de forcer», raconte l’observatrice. Puis, enfin, le phoque trouve une position qui lui convient et se repose.

Sur l’immensité de son corps pesant probablement dans les 300 à 400 kilos (660 à 880 livres), la tête apparait bien petite. L’abondance de vibrisses — les moustaches comme celle d’un chat — intrigue l’observatrice. C’est qu’elle a affaire à un phoque de l’espèce phoque barbu (Erignathus barbatus)! Que fait-il dans la baie de Sept-Îles? Cette espèce vit habituellement dans l’Arctique et descend rarement plus au sud que le nord-est de Terre-Neuve. Toutefois, chaque année, au moins un phoque barbu est observé dans le Saint-Laurent, parfois aussi loin qu’à Laval!

Gras comme il est, nul besoin de s’inquiéter pour ce grand voyageur. Avec ses longues moustaches, le phoque barbu repère ses proies dans les fonds marins. Crevettes, myes, petits poissons et petites pieuvres composent son menu. Restera-t-il longtemps dans le Saint-Laurent, comme le narval qui y séjourne depuis 2016? Ou retournera-t-il vers les siens vers l’Arctique? Dans tous les cas, il a bien besoin de repos. Si vous croisez un phoque sur un rocher, une glace ou une plage, observez-le à bonne distance (au moins 50 mètres), pour éviter qu’il ne fuit vers l’eau et ne puisse obtenir tout le repos dont il a besoin.

Encore bien des baleines au large

Le 5 décembre, c’est une forêt de souffles qui ponctue le paysage au large des Bergeronnes. À l’œil nu, Renaud Pintiaux repère les expirations s’élever comme des geysers à plusieurs milles nautiques de la rive. Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), pointe ses jumelles vers l’attroupement de baleines à partir du balcon de sa maison. Il compte de sept à dix rorquals à bosse différents et trois ou quatre rorquals communs. Les deux passionnés de baleines voient aussi à l’occasion encore quelques petits rorquals passer.

Le 8 décembre, c’est plutôt un attroupement de bélugas qui passe devant la fenêtre de Robert Michaud. Notre réunion de télétravail est interrompue: quand la beauté nage devant la maison, il faut la contempler!

Plus loin, au large de Sept-Îles, le rorqual bleu B408 fait une apparition. «Il venait respirer à la surface environ toutes les quinze minutes avant de replonger», commente Jacques Gélineau, collaborateur de la Station de recherche des iles Mingan. Sur son sonar, il voit une masse à bonne profondeur, probablement la poche de krill qui intéresse la baleine bleue. Pour se nourrir efficacement, le rorqual bleu doit viser des bancs de krill bien denses. Des chercheurs de Pêches et Océans Canada ont même pu estimer la densité nécessaire pour qu’une bouchée d’un rorqual bleu en vaille la peine. Malheureusement, très peu des bancs de krill observés dans le Saint-Laurent (seulement 12% des bancs de krill arctique et 5,5% des bancs de krill nordique) par l’équipe de recherche répondaient à cette densité.

Du côté de la Gaspésie, les conditions météo ont rendu les observations difficiles ces derniers temps. Toutefois, une randonneuse admire deux rorquals à bosse le 6 décembre au cap Gaspé. Près de l’ile Plate, une dizaine de phoques communs se prélassent sur les rochers, sous l’œil d’un harfang des neiges. C’est une chance de voir ces trois espèces en même temps. Si les phoques communs résident dans le Saint-Laurent toute l’année, la plupart des rorquals à bosse sont déjà partis vers le sud en cette période tandis que les harfangs des neiges, eux, passent seulement l’hiver au Québec. Pour cet oiseau, la Gaspésie est considérée comme le «sud» et il repartira pour l’été vers l’Arctique, le Nunavik, le grand Nord. Le chevauchement de la présence de ces migrateurs est donc assez court.

Observations de la semaine - 9/12/2020

Marie-Ève Muller

Marie-Ève Muller s’occupe des communications du GREMM depuis 2017 et est porte-parole du Réseau québécois d'urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Comme rédactrice en chef de Baleines en direct, elle dévore les recherches et s’abreuve aux récits des scientifiques, des observateurs et observatrices. Issue du milieu de la littérature et du journalisme, Marie-Ève cherche à mettre en mots et en images la fragile réalité des cétacés.

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