En Amérique du Nord, 85% des baleines noires de l’Atlantique Nord ont déjà été empêtrées à un moment ou à un autre de leur vie! Des équipes de partout dans l’Est du Canada travaillent d’arrache-pied pour aider ces cétacés. Baleines en direct s’est entretenu avec Moira Brown et Mackie Greene, du Campobello Whale Rescue Team, pour en apprendre davantage sur les nouveaux défis à relever pour le dépêtrements des grands cétacés au Québec et dans les Maritimes.

Le Campobello Whale Rescue Team

Le Campobello Whale Rescue Team (CWRT) affilié au Canadian Whale Institute (CWI) est basé dans la baie de Fundy, sur l’ile de Campobello, au Nouveau-Brunswick. Il intervient depuis plus de 20 ans en cas d’empêtrements de grandes baleines au Québec et dans les Maritimes. L’équipe connait bien les environs. Elle s’est d’ailleurs établie dans la baie de Fundy parce qu’il s’agissait d’une aire d’alimentation pendant l’été et l’automne pour les baleines noires de l’Atlantique Nord, qui y sont venues en grand nombre entre 1980 et 2010. Plus récemment, une grande partie des baleines noires de l’Atlantique Nord se déplace vers le golfe du Saint-Laurent pendant les mois d’été et d’automne, ce qui oblige l’équipe à se déplacer plus loin pour mener à bien les opérations de dépêtrement.

Moira Brown, scientifique en chef du CWRT, étudie les baleines noires depuis 1985. Elle a reçu de nombreux prix pour son travail, en plus d’être l’auteure principale du programme canadien de rétablissement des baleines noires de l’Atlantique Nord de Pêches et Océans Canada (MPO), publié en 2009 en conformité avec la Loi sur les espèces en péril.

Mackie Greene, directeur et cofondateur du CWRT, a grandi sur l’ile de Campobello et est dédié au dépêtrement des baleines comme bénévole depuis 2002, alors avec un léger soutien du MPO. Depuis 2018, l’équipe est maintenant payée pour son travail de sauvetage et financée par le MPO. Mackie est également certifié par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, similaire au MPO, mais pour les eaux américaines) pour intervenir auprès de baleines noires empêtrées dans les eaux américaines. Il a été coordonnateur canadien du dépêtrement des grandes baleines au Center for Coastal Studies et est l’un des six experts en dépêtrement de baleines (un sur la côte ouest et cinq sur la côte est) au pays reconnus par le MPO. Avec le reste d’équipe, ils sont en mesure de mener des opérations de dépêtrement pour libérer des baleines de leurs cordages, dans l’objectif d’augmenter leurs chances de survie.

De tous nouveaux enjeux

La baie de Fundy, qui était autrefois une importante aire d’alimentation pour les baleines noires de l’Atlantique Nord, compte de moins en moins d’individus dans ses eaux depuis 2010. Les mères venaient auparavant après la saison de mise bas pour allaiter leurs baleineaux et se nourrir, accompagnées d’adultes et de juvéniles, mais de moins en moins d’individus ont été repérés dans la baie ces dernières années. On observe plutôt des mères, des baleineaux et d’autres baleines noires près de la péninsule gaspésienne et dans la vallée de Shediac, dans le sud du golfe du Saint-Laurent, et encore plus rarement – mais occasionnellement – dans l’estuaire du Saint-Laurent.

Les tentatives de dépêtrement n’ont jamais été choses simples, et c’est toujours un risque énorme pour la sécurité que d’être à proximité d’un grand animal en détresse. Dans la baie de Fundy, il y a beaucoup d’yeux sur l’eau : des compagnies d’observation de baleines, des plaisanciers ainsi que des pêcheurs et pêcheuses. Lorsqu’une baleine empêtrée est repérée,  les témoins restent souvent avec l’animal et le suivent à distance jusqu’à ce que l’équipe arrive pour évaluer l’incident et tenter un dépêtrement si cela est jugé approprié. Parfois, l’équipe attache un émetteur satellite au cordage si la baleine ne peut pas être dépêtrée le jour même.

Dans le sud du golfe du Saint-Laurent, ce sont souvent les équipes effectuant des relevés aériens qui repèrent les baleines noires. Malheureusement, les avions sont limités dans le temps qu’ils peuvent passer avec la baleine en raison des contraintes liées au carburant. Les observateurs aériens documentent donc l’empêtrement, mais ne peuvent rester avec la baleine jusqu’à l’arrivée du CWRT, généralement le lendemain ou lorsque les conditions météorologiques le permettent. Une baleine noire peut parcourir jusqu’à 160 km par jour à une vitesse de 5 nœuds, soit 9,3 km/h, ce qui rend les chances de la retrouver après coup presque impossibles.  Mackie Greene explique « [qu’il] est incroyablement difficile de les retrouver. Même empêtrées, elles peuvent parcourir de grandes distances ».

Des navires de recherche opèrent également dans le golfe du Saint-Laurent. Si une baleine empêtrée est repérée à partir de l’un de ces navires et que l’équipe a été formée pour attacher un émetteur satellite, il est parfois possible pour elle d’en attacher un au cordage afin que la baleine puisse être relocalisée. Au Québec, le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) a été formé par le CWRT pour attacher des balises satellites aux cordages lorsqu’il est possible de le faire en toute sécurité.

Les plus grands défis de l’équipe du CWRT pour répondre aux baleines empêtrée dans le golfe du Saint-Laurent sont le temps qu’il faut à l’équipe pour se rendre sur place – les baleines se trouvent habituellement à 30-50 noeuds marins au large des côtes – et le temps passé à essayer de relocaliser les baleines. Lorsqu’une baleine empêtrée est observée dans le golfe du Saint-Laurent, le CWRT doit se rendre au port le plus proche, souvent Shippagan, au Nouveau-Brunswick,, à 500 km de son port d’attache sur l’ile de Campobello. Une grande partie du temps de l’équipe est consacré à attendre les bonnes conditions météorologiques et la réapparition de la baleine, d’où l’importance des émetteurs satellite.

Un autre défi pour les équipes de dépêtrement est que les cordes utilisées pour la pêche au crabe des neiges au Québec sont d’un diamètre plus grand (3/4 ») que celles utilisées pour la pêche au homard (3/8 ») au Nouveau-Brunswick. Il faut donc plus d’efforts, de force et de coupes pour retirer les cordes. Cela signifie donc qu’il faut passer plus de temps auprès de l’animal, déjà en détresse.

Une collaboration récente

L’un des plus récents cas de dépêtrement dans le Saint-Laurent fut celui d’une baleine noire de l’Atlantique Nord, le veau 2023 de War (#1812). Observée pour la première fois le 22 juin 2024 dans la vallée de Shediac, à l’est de Shippagan, au Nouveau-Brunswick, la baleine noire âgée d’un an et demi est réapparue près des Petits Escoumins, au Québec, à plus de 500 km de l’endroit où elle a été signalée pour la première fois, près de deux semaines plus tard. Cette baleine juvénile n’a pas encore reçu de numéro d’identification, mais on sait qu’il s’agit du 7e baleineau de War (#1812). Pour l’instant, elle est connue sous le nom de « 2023 calf of #1812 », en référence à son année de naissance et à l’identification de sa mère.

Dès la première observation, l’équipe du Canadian Whale Institute (CWI), en collaboration avec des scientifiques du New England Aquarium et des apprentis sauveteurs de l’Équipe de Désempêtrement du Golfe (EDG), a attaché une balise satellite aux cordages à l’arrière de la baleine. Plusieurs tentatives ont été faites pour dépêtrer la baleine par l’équipe du CWRT le 25 juin, mais avec un succès partiel, car seulement quelques cordages ont pu être retirés. Les transmissions émises par l’émetteur satellite ont permis de suivre les mouvements de la baleine qui nageait dans l’estuaire du Saint-Laurent. Afin de poursuivre son travail, l’équipe du CWRT est arrivée à Rimouski le 10 juillet pour tenter à nouveau de dépêtrer la baleine. Les spécialistes ont réussi à retirer les cordages emmêlés, avec l’aide de nombreux partenaires sur l’eau qui aidaient à relocaliser et suivre la baleine. Le MPO a pu attacher une balise LIMPET qui a transmis un signal pendant 12 jours et a permis de suivre la baleine quittant l’estuaire et retournant dans le sud du golfe du Saint-Laurent.

Pour le cas de cette baleine, le RQUMM a coordonné, de pair avec ses partenaires du CWRT, MPO, Parcs Canada et Transport Canada, un plan de réponse pour faciliter l’intervention lorsqu’est venu le moment de libérer l’animal de ses cordages. Opérant également la Centrale Urgences Mammifère Marin (1-877-722-5346), ouverte 24/7, le RQUMM a reçu et transmit les observations de la baleine qui correspondait à ce cas. En collaboration avec l’équipe de Baleine en direct, le RQUMM a assuré les communications et mises à jour de la situation aux réseau d’observateurs et membres de l’industrie des croisières aux baleines dans le secteur, afin d’assurer la sécurité et le bien-être des baleines et des navigateurs.

Intervention

Le dépêtrement est un processus très dangereux et stressant, tant pour l’animal que pour les personnes qui y prennent part. Dans l’est du Canada, seules cinq personnes sont autorisées à procéder à des dépêtrements. Elles travaillent pour l’équipe de Campobello au Nouveau-Brunswick ou pour le Whale Release & Strandings, à Terre-Neuve-et-Labrador. Pour aider à répondre aux baleines empêtrées dans le golfe du Saint-Laurent, il existe désormais une équipe d’apprentis nouvellement formée, l’Équipe de Désempêtrement du Golfe (EDG). Basée à Shippagan, elle est composée de pêcheurs locaux et du RQUMM, qui travaillent en collaboration avec l’équipe de Campobello pour les interventions dans le sud du golfe du Saint-Laurent et dans les eaux du Québec.

Lorsqu’un empêtrement est signalé, l’équipe la plus proche est déployée pour poser une balise satellite sur la baleine. Au Québec, le CWRT renforce la formation des agents de pêche du MPO, de l’équipe du RQUMM et de Parcs Canada pour mener à bien ce type d’intervention essentielle. Attacher une balise satellite permet de suivre et de relocaliser la baleine empêtrée. Une fois la baleine repérée, les personnes certifiées et autorisées de la CWRT peuvent commencer à tenter de la dépêtrer, fournissant une formation supplémentaire sur l’eau aux collaborateurs.

Avec tous ces efforts, il y aurait encore de l’espoir pour les baleines noires. « Quelques baleines noires sont encore observées chaque année dans la baie de Fundy. J’espère qu’elles reviendront dans le futur.  L’année dernière, quelques-unes sont venues et sont restées ici pendant un certain temps », exprime Mackie Greene.

Urgences Mammifères Marins - 23/1/2025

Yael Medav

Yael Medav est une rédactrice au GREMM depuis le début de la saison 2024. Elle vient de finir son baccalauréat en biologie de la faune à l’université de McGill. Elle est fascinée par les baleines et espère voir une baleine noire cet été!

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