On a tous en tête les épaulards, super-prédateurs de nos océans qui peuvent s’attaquer aux plus grands animaux de la planète : les rorquals bleus. Mais est-ce que tous les épaulards mangent les mêmes proies? Comment les scientifiques peuvent-ils étudier leur régime alimentaire, en particulier dans les régions isolées? Ces questions fascinent les amateurs d’épaulards qui visitent le CIMM et lisent Baleines en Direct. En réalité, il semblerait que différentes populations aient réussi à s’adapter à des proies spécifiques. Voici ce qu’en dit la science.

Écotypes et différences alimentaires

Tous les épaulards ne mangent pas la même chose. En effet, différentes populations d’épaulards se spécialisent dans différentes proies : tout cela dépend de leur écotype. Un « écotype » est un terme utilisé par les écologistes pour différencier les types d’épaulards. En fonction de leur alimentation, les épaulards ont évolué socialement, morphologiquement et adapté leur mode de vie à leurs proies préférées.

Par exemple, dans le Pacifique Nord, les épaulards sont séparés en trois écotypes, qui, même s’ils vivent dans la même région, ne mangent pas les mêmes proies. Les épaulards résidents (les résidents du nord et les résidents du sud, en danger critique d’extinction) se nourrissent de poissons, principalement de saumon. Ils ne s’attaquent pas aux autres mammifères marins. Les épaulards migrateurs (ou de Bigg) se nourrissent, eux, de petits mammifères marins, comme les phoques ou les petits cétacés. Enfin, les épaulards océaniques se nourrissent d’une grande variété de proies, telles que divers poissons et même des requins dormeurs.

Pour établir et étudier ces différents écotypes dans le Pacifique Nord, les scientifiques se sont appuyés sur des décennies de photo-identification, d’observation du comportement, de données acoustiques et de traceurs chimiques. Certaines populations sont observées et photographiées chaque année. Cela permet aux scientifiques d’étudier les différences entre les écotypes et de comprendre comment ceux-ci évoluent et/ou réagissent aux menaces, comme le manque de nourriture ou le réchauffement climatique.

Qu’en est-il de l’océan Atlantique?

Qu’en est-il des épaulards de l’autre côté du pays? Les scientifiques ont établi deux écotypes d’épaulards dans l’océan Atlantique Nord en 2009. Le premier écotype, « généraliste », comprend les individus qui se nourrissent de poissons et parfois de mammifères marins, tandis que le second type, « spécialiste », comprend les individus qui se nourrissent uniquement de mammifères marins. Cependant, cette hypothèse à deux écotypes a été remise en question ces dernières années.

En effet, le régime alimentaire des épaulards de l’Atlantique Nord semble être plus compliqué que dans le Pacifique Nord. Ces épaulards sont aussi plus difficiles à étudier, car beaucoup d’entre eux vivent dans des régions isolées, où on ne peut pas les observer toute l’année. Pour comprendre leur régime alimentaire, les scientifiques doivent donc faire preuve de plus en plus de créativité, et utiliser les technologies de pointe.

Comment étudier à distance la diète des épaulards?

Les chercheurs ne sont pas toujours conviés à table, il est donc parfois difficile de savoir ce que les épaulards ont dans leur assiette. Heureusement, il existe d’autres façons indirectes de savoir ce que mangent les épaulards lorsqu’on ne peut pas observer une population toute l’année. Une première solution est d’analyser leur contenu stomacal. L’analyse post-mortem des individus échoués peut nous renseigner sur ce que l’animal a mangé avant de mourir. Parfois, nous pouvons trouver des petits becs de calmar, des os de phoque ou même des « otolithes » de poisson (petites structures osseuses dans leur oreille interne). Mais cette technique ne donne suffisamment d’informations que si on a accès à des carcasses régulièrement et pendant une longue période, ce qui est notamment le cas pour les bélugas du Saint Laurent.

Autre solution : certains scientifiques collectent les selles d’épaulards! Ils peuvent soit y trouver de petits restes de proies, soit mesurer l’ADN dans ces matières fécales pour identifier différentes espèces de proies. Cependant, cette technique nécessite que les experts sur le terrain attendent patiemment que la baleine « aille aux toilettes », pour tentent d’attraper des échantillons de selles avant que celles-ci ne coulent. De plus, cette technique n’informe que sur les quelques derniers repas de l’animal.

Récemment, les scientifiques ont commencé à mesurer différents traceurs chimiques dans la peau et la graisse des baleines et des dauphins afin d’étudier leur régime alimentaire. Pour ce faire, il faut d’abord récolter des biopsies, c’est-à-dire des petits morceaux de peau et de gras, à l’aide d’une fléchette. L’échantillon ressemble généralement à un tube de 25 à 35 mm de long (la taille d’une phalange de votre auriculaire).

Parlons de graisse!

Une fois les échantillons collectés, on peut mesurer trois types d’informations moléculaires dans ces biopsies. La première information nous est donnée par les « isotopes stables ». On mesure ainsi des ratios d’atomes grâce à une machine high-tech très précise, qui nous donne la position de l’épaulard dans la chaine alimentaire (haute ou basse), ainsi que la localisation des proies (près du rivage ou au large).

La deuxième information provient de la graisse : on peut mesurer la quantité de polluants – comme les retardateurs de flamme ou les pesticides – présents dans ces baleines. Ces produits chimiques s’accumulent et s’amplifient à travers la chaine alimentaire, donc plus la quantité de polluants est élevée, plus la position de l’épaulard est élevée. On peut ainsi différencier les individus qui mangent des petits mammifères marins de ceux qui ne mangent que du poisson.

Enfin, on peut mesurer les différentes proportions de lipides (appelés acides gras) dans la graisse des épaulards. Comme les proportions de lipides varient peu entre une proie et son prédateur, on peut comparer les profils lipidiques des épaulards avec leurs proies potentielles pour reconstituer leur alimentation. Les lipides mettent un certain temps à s’accumuler dans la graisse des baleines; cela donne aux scientifiques une solution pour étudier la diète sur le long terme. C’est la technique que je développe actuellement dans le cadre de mon doctorat à l’Université McGill et qui, j’espère, apportera enfin des réponses pour mieux comprendre ce que mangent les épaulards de l’Atlantique Nord.

Les baleines en questions - 3/5/2022

Anaïs Remili

Anaïs Remili has been a writer for Whales Online since March 2022. Passionate about whales, she has studied the diet of Antarctic humpback whales and is currently studying for her PhD at McGill University. Her research focuses on the diets and pollution in killer whales from the North Atlantic. She is also the founder and editor-in-chief of Whale Scientists, a science communication website where early career researchers share their science with the public.

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