Vous savez certainement qu’il existe plusieurs espèces de rorquals et de nombreuses espèces de dauphins. Mais saviez-vous que l’épaulard, aussi appelé orque, possédait, lui, de multiples variétés? Différentes dans leur morphologie et leur mode de vie, ces variétés — ou «écotypes» — sont considérées par de nombreux scientifiques comme des sous-espèces, voire des espèces en formation. Explications.

Parmi les cétacés, l’épaulard est celui qui possède l’aire de répartition la plus vaste: on trouve des épaulards dans la plupart des mers et océans du globe. Cependant, tous les épaulards du monde ne se ressemblent pas. Les chercheurs ont mis en évidence une grande variété dans la morphologie, la pigmentation, le comportement et le type d’alimentation selon les populations étudiées.

Certains épaulards sont nomades, alors que d’autres semblent sédentaires; certains possèdent une peau noire brillante, d’autres affichent une teinte plus jaune; certains vivent proches des côtes alors que d’autres se retrouvent essentiellement en pleine mer. Certains ne s’alimentent que de poissons, d’autres de petits mammifères marins, certains préfèrent un régime varié, tandis que d’autres encore se nourrissent presque exclusivement de petits rorquals. Pour désigner ces variétés, les scientifiques parlent d’« écotypes ».

L’épaulard n’est pas la seule espèce à posséder plusieurs écotypes; c’est un phénomène qui a été identifié notamment chez le grand dauphin (2 écotypes), le marsouin commun (3 écotypes) et le caribou du Canada (3 écotypes). Cependant, le superprédateur du milieu marin a la particularité de posséder une très vaste palette d’écotypes qui partageront même parfois la même région géographique.

Dix écotypes identifiés... pour l'instant

« À ma connaissance, on dénombre pour le moment 10 écotypes bien identifiés: 3 sur la côte ouest de l’Amérique du Nord, 2 dans l’Atlantique Nord, et 5 en Antarctique, précise Lance Barrett-Lennard, directeur du programme de recherche sur les mammifères marins à Ocean Wise et spécialiste des épaulards. Mais le nombre réel d’écotypes est probablement bien plus élevé, car il ne prend pas en compte certaines populations qui vivent dans l’Arctique, en Australie du Sud, en Polynésie, en Indonésie, etc. Je ne serais pas surpris qu’il y ait au moins une vingtaine d’écotypes dans le monde ». Certains de ces écotypes englobent plusieurs populations d’orques, dans des zones géographiques distinctes. Ainsi, dans le Pacifique Nord-Est, les épaulards résidents comptent deux populations, celle du Nord et celle du Sud.

Ces différents écotypes d’épaulards se côtoient parfois géographiquement, mais ne se reproduisent pas entre eux. Cette ségrégation pourrait être due, ou en tous cas maintenue, grâce à des «cultures» différentes, transmises au sein de chaque écotype. Ces cultures se traduisent par des techniques de chasse ou des types de vocalisation, par exemple.

Alors, espèces différentes ou pas ?

Présentement, Orcinus orca, le nom latin de l’épaulard, est considéré comme une seule et unique espèce, membre de la famille des delphinidés. Mais ce statut pourrait être amené à changer. Lorsque des populations ne se reproduisent pas entre elles et développent des différences écologiques significatives… elles ont tendance à dériver pour former des espèces distinctes, c’est le phénomène de spéciation. «À l’heure actuelle, j’aime parler de complexe d’espèces, soit un groupe d’espèces étroitement apparentées, mais qui n’ont pas encore de nom, précise Lance Barrett-Lennard. Nous pourrions les appeler sous-espèces ou même espèces, mais utiliser correctement ces termes signifie réviser formellement la taxonomie de l’épaulard, ce qui n’a pas encore été fait.»

Ce questionnement scientifique peut paraitre anodin, mais différencier des espèces permet aussi de mieux les préserver ! Ainsi, si l’espèce Orcinus orca compte dans son ensemble suffisamment d’individus pour ne pas être considérée comme en danger d’extinction, «certaines populations régionales d’épaulards peuvent être petites et hautement spécialisées, et donc vulnérables à la surexploitation, aux perturbations, à la réduction des proies et à la détérioration de l’habitat, souligne l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Plusieurs petites populations sont déjà reconnues comme présentant un risque d’extinction élevé. De nombreuses populations de taille similaire et menacées peuvent exister dans le monde, mais n’ont pas encore été suffisamment étudiées et décrite.»

Les baleines en questions - 6/5/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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