Cela peut paraitre étonnant, mais jusqu’à il y a quelques mois, le régime alimentaire du béluga du Saint-Laurent était très mal connu. « La plupart de ce que nous savons sur le régime alimentaire du béluga de l’estuaire du Saint-Laurent provient de contenus stomacaux recueillis il y a 80 ans, principalement sur un site de chasse que le béluga n’utilise plus », souligne la chercheuse de Pêches et Océans Canada Véronique Lesage, dans une étude scientifique publiée courant juillet.

Un menu très secret

Pas facile pourtant d’actualiser ces connaissances. Comme tous les cétacés, le béluga est difficile à suivre en plongée et documenter les séquences d’alimentation qui ont lieu dans les eaux sombres du Saint-Laurent ou du Saguenay relève du défi. Et à part quelques rares occasions où on voit une proie dans la bouche d’un béluga à la surface, les bélugas montrent peu leur menu. Il faut donc se baser essentiellement sur le contenu stomacal et intestinal d’animaux morts.

Comme le béluga est une espèce protégée de la chasse depuis la fin des années 1970, ce sont les carcasses retrouvées suffisamment fraiches qui sont utilisées. Pour cette nouvelle étude, l’équipe de recherche a pu analyser le contenu digestif de 79 carcasses de bélugas collectées entre 2003 et 2017, ainsi qu’une dizaine d’autres carcasses plus anciennes, toutes nécropsiées par l’équipe de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.
Malheureusement, cette méthode, qui repose sur la récupération des parties dures des proies (os, bec, etc.) dans le système digestif – lorsque celui -ci n’est pas vide! – comporte des biais . « Bien que ces échantillons ne conviennent pas à l’évaluation quantitative du régime alimentaire, ils sont précieux pour identifier les espèces de proies actuelles afin de les comparer au passé », souligne tout de même Véronique Lesage. En d’autres mots, on peut connaître le type de proie présent dans l’alimentation du béluga, mais pas la quantité ingérée.

Morue, merlu, sébaste, vers et calmars

Les résultats montrent ainsi que le béluga du Saint-Laurent possède un régime alimentaire varié, composé de poissons et d’invertébrés de taille généralement inférieure à 30cm. Les proies les plus fréquemment retrouvées sont des poissons du fond de l’eau — comme la morue, le merlu et le sébaste — ainsi que des vers polychètes, et de petits céphalopodes comme le calmar. D’autres poissons sont ponctuellement retrouvés, tels l’éperlan ou l’anguille, ainsi que des invertébrés marins (crevette, gastéropode, etc.).

Ces conclusions diffèrent en partie de ce qui était connu jusqu’ici. Dans les années 1930, les proies les plus souvent rencontrées dans les estomacs des bélugas étaient le lançon et le capelan, des poissons que l’on retrouve encore aujourd’hui dans leur alimentation, mais moins fréquemment.

« Le sébaste, l’anguille d’Amérique et deux espèces de merlus [sont] présents dans le régime alimentaire contemporain des bélugas, mais n’ont pas été détectés [autrefois]. L’inverse a été constaté pour le saumon de l’Atlantique, l’esturgeon de l’Atlantique, la lamproie marine, l’églefin et les raies », précise la récente étude.

Régimes alimentaires variables

L’analyse des reliefs de repas dans les carcasses de bélugas permet aussi de noter des variations saisonnières, ainsi qu’une différence de régime alimentaire entre les mâles et les femelles, particulièrement durant la saison estivale : « Le lançon ainsi que l’anguille d’Amérique, l’éperlan arc-en-ciel et le hareng de l’Atlantique ont été détectés dans le régime alimentaire du béluga exclusivement à la fin de l’été et à l’automne, tandis que d’autres espèces […] ont été détectées au printemps ou à l’automne », écrit Véronique Lesage. Ces variations sont attribuées à la disponibilité saisonnière des proies ainsi qu’aux déplacements des bélugas.

On sait que mâles et femelles bélugas utilisent différemment les multiples habitats du Saint-Laurent. Cette ségrégation sexuelle entraine logiquement des différences dans l’alimentation. Par exemple, les poissons vivants dans le fond de la mer sont présents toute l’année dans l’estomac des mâles, mais ne semblent faire partie de l’alimentation des femelles qu’au printemps et à l’automne.

Pourquoi est-ce important de savoir ce que mangent les bélugas?

Connaitre le régime alimentaire des bélugas du Saint-Laurent peut sembler anodin, pourtant mieux comprendre leur manière de s’alimenter aide à mieux les protéger. On peut par exemple identifier une source possible de substances toxiques. On peut aussi distinguer quelles espèces et quels habitats sont les plus importants pour le béluga et ainsi engager des actions de conservation spécifiques. Enfin, comprendre les cycles alimentaires saisonniers et leur évolution dans le temps est essentiel pour prévoir et atténuer les impacts potentiels de l’activité humaine et du climat sur cette population en voie de disparition.

Actualité - 1/9/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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