À force de fréquenter les mammifères marins, observateurs et scientifiques en viennent à supposer qu’ils ont bel et bien des personnalités distinctes. S’agit-il là d’une fabulation, ou les baleines peuvent avoir des tempéraments uniques, à l’instar des humains?

Des individus attachants dans le Saint-Laurent

En discutant des comportements des mammifères marins, le directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), Robert Michaud, ne laisse pas de doutes quant aux traits sociaux facilement reconnaissables de certaines baleines côtoyées. Plusieurs bélugas connus de l’équipe du GREMM sont même évoqués selon leur personnalité : Pascolio est curieuse et Yogi solitaire.

Des invertébrés aux géantes des mers … Qu'en dit la science?

Depuis les deux dernières décennies, les recherches se penchant sur les personnalités et les habitudes comportementales des animaux se sont multipliées, alors qu’il n’existait pratiquement pas de données avant 2000. Autant le chimpanzé, le serpent, le tamia rayé que l’araignée ont fait l’objet d’enquêtes, et il semble que l’espèce humaine ne serait pas la seule dotée d’une personnalité.

Mais qu’entend-on par personnalité? Pour simplifier, et en se fiant au champ de la psychologie humaine, il serait possible de définir le comportement comme étant une action observable, l’émotion comme étant une impulsion neurologique qui incite à ce même comportement, et les traits de personnalité comme étant des comportements distincts et propres à certaines individualités.

Harold Herzog, professeur en psychologie animale, souligne que la définition renvoie généralement à des différences individuelles dans le comportement, qui demeurent stables au fil du temps et selon les contextes, et qui permettent de distinguer les individus entre eux. En ce sens, la présence de variations de préférences personnelles chez les invertébrés peut être interprétée comme l’expression de traits de personnalité! Il faut tout de même souligner que la ligne est mince entre ce qui est considéré comportements ou traits de personnalités, et que ces mots sont parfois même utilisés comme synonymes selon le contexte.

Par ailleurs, ce ne sont pas toutes les espèces qui ont reçu une part égale d’attention lorsqu’il est question de recherches comportementales. Les mammifères marins sont particulièrement difficiles à étudier à cause de leur environnement aquatique. Les espèces qui ont fait l’objet de recherches plus approfondies sont principalement les grands dauphins ou dauphins à gros nez (Tursiops truncatus), les phoques gris (Halichoerus grypus) et les orques (Orcinus orca).

Pour étudier les personnalités des animaux, certains scientifiques ont tenté d’appliquer des modèles utilisés en psychologie humaine, tels qu’un modèle célèbre nommé le «Big-5», ou le «Five-Factor model», qui évalue la personnalité à partir de cinq spectres d’attributs. Les chiens, chimpanzés et orques ont d’ailleurs des comportements qui peuvent s’inscrire dans ce modèle analysant ces cinq traits, que sont l’ouverture, la conscience, l’extraversion, l’agréabilité et le neuroticisme.

 

Les études convergent vers l’idée que les mammifères marins possèdent des habiletés cognitives complexes ainsi qu’un large éventail de comportements sociaux. Du côté des dauphins, il a été possible de discerner des aptitudes à la coopération, à la résolution de problèmes, à l’altruisme, ainsi que des traits allant d’une attitude joueuse à l’agressivité. De plus, les dauphins présentent de manière variable ces traits, selon l’individu, ce qui suppose des différences de personnalités.

Quant aux orques, une équipe de recherche espagnole a su mettre en lumière, en étudiant des individus en captivité, que ceux-ci manifestaient des traits de personnalité liés à l’espièglerie, à la gaieté et à l’affection. L’hypothèse énonce que ces aptitudes sociales, très similaires à celles observables chez les humains et les chimpanzés, se sont développées dans un contexte grégaire, où ce type d’interaction est nécessaire pour évoluer harmonieusement. Les orques, dont l’organisation sociale s’articule autour de petits groupes tissés serrés, usent de tactiques complexes de chasse et de partage de nourriture, à l’aide d’un système de communication élaboré. Des scientifiques ont aussi découvert que ces animaux marins arrivent à imiter les comportements de leurs semblables, et à reproduire des sons associés aux otaries, aux dauphins et même aux humains.

À travers nos yeux d’humains…

Attribuer des traits de personnalité aux animaux étudiés, est-ce que c’est de l’anthropomorphisme? Puisqu’il s’agit d’un domaine de recherche relativement récent, il peut être aisé de confondre émotions, comportements ou traits de personnalité.

Il est difficile d’observer des comportements stables au fil du temps dans un contexte marin, ce qui est pourtant un critère de base pour déterminer s’il s’agit bien de traits de personnalité. Les contextes d’étude fluctuants, de même que nos subjectivités humaines, sont des facteurs à prendre en compte dans l’étude des personnalités chez les baleines. Tout comme pour les émotions, certains chercheurs émettent des mises en garde lorsqu’il s’agit d’interpréter des comportements. Robert Pitman, écologiste marin à la National Oceanic and Atmospheric Administration, rappelle qu’il faut éviter d’attribuer des sentiments ou des intentions aux animaux puisque chaque espèce possède une perspective et des caractéristiques qui lui sont propres, servant à assurer sa survie.

Par Jeanne LaRoche

Les baleines en questions - 27/10/2022

Collaboration Spéciale

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