Le 23 octobre dernier, une baleine à bec de True s’échoue et meurt dans la baie de Sept-Îles. Les causes de l’échouage de cet animal ne sont pas encore connues, mais la carcasse permettra certainement d’en apprendre plus sur cette espèce de baleine! Les baleines à bec passent la majorité de leur temps au grand large et fréquentent les profondeurs des océans: la baleine à bec de Cuvier, par exemple, peut plonger à près de 3 000 m sous la surface de l’eau!
Un dénouement malheureux
Le dimanche 23 octobre, à 13h30, un premier témoin appelle le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Ce dernier venait d’observer une baleine en difficulté dans la baie de Sept-Îles. L’observateur décrit l’animal comme étant de couleur noire et ayant une petite dorsale, il raconte qu’elle semblait prise au fond de l’eau, tout en agitant sa nageoire caudale.
Quelques minutes plus tard, la Sûreté du Québec appelle à son tour le RQUMM pour transmettre le témoignage d’un observateur; un citoyen aurait tenté de repousser la baleine vers le large.
Alors qu’une foule commence à se former autour de l’animal et sur la berge, le RQUMM, agissant en tant que coordonnateur des interventions, mobilise des intervenants terrain formés pour répondre à ce genre de cas. Le RQUMM fait appel à ses partenaires et bénévoles afin qu’ils se rendent sur place pour valider la situation et relayer les informations à la centrale du Réseau. Anik Boileau, du Centre d’éducation et de recherche de Sept-Îles (CERSI), identifie l’individu comme étant une baleine à bec (Ziphiidae), sans toutefois pouvoir confirmer l’espèce sur le terrain. Il existe en effet plusieurs espèces dans cette famille, comme les baleines à bec de Sowerby, de Baird, de Cuvier, et autres. Leur identification est difficile. Plusieurs espèces se ressemblent, mais il est surtout rare les voir en raison de leur mode de vie. L’emplacement des dents peut être un indice permettant de distinguer les espèces.
Lors de l’échouage, quelques lésions sur ses nageoires pectorales ainsi qu’une cicatrice sur sa dorsale ont été remarquées. À première vue, la condition physique de la baleine était inquiétante: elle semblait émaciée et peu énergétique avant sa mort. De premières observations ainsi que nombre de photos et vidéos sont alors transmises Stéphane Lair, vétérinaire et directeur du Centre québécois sur la santé des animaux sauvages (CQSAS). Ce dernier a jugé que les chances de survie de cet animal étaient minces et que rien ne devrait être fait pour retarder sa mort.
Malheureusement, des manœuvres ont été tentées pour soutenir ou repousser l’animal sans attendre le feu vert ou les recommandations du vétérinaire. L’animal est finalement mort quelques minutes plus tard, à 15h38.
Garder ses distances
Les tentatives de remises à l’eau et d’approche de mammifères marins par les citoyens sont illégales. Une intervention mal faite peut entrainer de graves conséquences pour l’animal ou pour les bons samaritains improvisés. Il faut laisser les professionnels formés se charger de la gestion de ce genre d’évènement. Les intervenants doivent obligatoirement obtenir un permis délivré par le ministère des Pêches et des Océans pour agir auprès des mammifères marins.
Avant toute tentative de manipulation de l’animal, les vétérinaires du CQSAS sont consultés. Ces derniers complètent une évaluation de l’état de santé de l’animal, sa condition et ses chances de survie. Selon le diagnostic, la sécurité des intervenants et le statut sur la Liste des espèces en péril (LEP) de l’animal, le RQUMM détermine un plan d’action adéquat.
Les cas d’échouages soulèvent beaucoup d’émotions, autant du côté de la population que des intervenants autorisés et formés qui pensent agir dans l’intérêt de l’animal, mais il ne faut pas oublier qu’il est question d’animaux sauvages! Ces derniers sont imprévisibles, ils peuvent en outre transmettre des maladies. Sans avis vétérinaire, une tentative de remise à l’eau ou de déplacement peut causer du stress supplémentaire à l’animal et risque d’aggraver sa condition. Lorsque vous apercevez un mammifère marin mort ou en difficulté au Québec, la marche à suivre est simple: n’intervenez pas et appelez au RQUMM au 1-877-722-5346.
Les baleines à bec, une famille méconnue
Les échouages de cette famille de baleines sont peu nombreux, les causes de ces évènements sont donc méconnues. La carcasse de baleine à bec de True retrouvée à Sept-Îles est d’intérêt pour la recherche scientifique puisque très peu de données existent pour cette espèce peu observée. La capacité d’expliquer les échouages de cétacés permet d’adopter des stratégies de conservation adéquates.
Dans l’est du Canada, cinq espèces de baleines à bec ont été documentées, soit la baleine à bec commune, de Sowerby, de Blainville, de Cuvier et de True. Dans le monde, plus d’une vingtaine d’espèces de baleines à bec sont connues. De nouvelles espèces sont encore découvertes; les plus récentes remontent à 2019 et 2020! Les aires de répartition des baleines à bec sont toutefois peu documentées et mal comprises. Ces cétacés vivent loin des côtes, ce qui explique qu’elles s’échouent rarement. Elles ont l’habitude de plonger en profondeur, pour consommer des calmars, des pieuvres et des poissons.
Il est difficile d’identifier les espèces de baleines à bec à partir de photographies aériennes ou prises à bord d’un navire. Les enquêtes sur les observations sont complexes puisque ces cétacés passent peu de temps en surface. Ces odontocètes communiquent entre eux à l’aide de «clics», des hydrophones peuvent donc être utilisés pour étudier leur présence. La famille des baleines à bec est méconnue, des études permettant d’apprendre à les connaitre se succèdent depuis plusieurs années.
Une carcasse vaut mille mots
La carcasse de la baleine a été récupérée dans la baie de Sept-Îles le 25 octobre. Cette dernière a été transportée vers la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe. Stéphane Lair y a effectué la nécropsie de l’animal le 26 octobre. Cette procédure permet d’analyser des échantillons de muscles, de peau et de dents afin d’identifier la présence potentielle de contaminants, la qualité de l’alimentation et la présence de blessures -notamment en lien avec la pollution sonore et les activités humaines.
L’individu en question est une baleine à bec de True (Mesoplodon mirus). Une bande blanc pâle distingue cette espèce au niveau du melon, c’est-à-dire un amas graisseux situé sur la tête des baleines à dents. La forme de la bouche vers le haut, ainsi que la présence de dents visibles à l’extrémité du rostre à l’extérieur de la bouche permettent aussi de conclure qu’il s’agit d’une baleine à bec de True. Des sillons en «V» sous la mâchoire permettent la capture de ses proies par succion. La fente génitale de l’animal a révélé la présence d’un organe sexuel masculin. Les deux canines de cet individu mesurent environ 1 cm chacune, elles émergent des gencives seulement chez le mâle. L’une des deux dents a été envoyée à l’équipe de l’institut Maurice Lamontagne de Pêches et Océans Canada afin de déterminer l’âge de la baleine. Ce cétacé mesurait 4,87 m, ce qui indique que l’individu était un adulte; les mâles de cette espèce atteignent la maturité sexuelle à 4,8 m.
Stéphane Lair explique «Bien que certaines des photos prises sur le site de l’échouage donnaient l’impression que ce spécimen était dans une condition nutritionnelle sous-optimale, cette première impression n’a pas été confirmée lors de la nécropsie. En effet, l’animal nous a en fait semblé être en état nutritionnel acceptable. […] À noter que le corps de cette baleine est normalement de forme très “aplatie”, ce qui peut donner une impression de maigreur.» Sa masse corporelle de 960 kg est dans les normes de cette espèce.
Il conclut que «La seule trouvaille significative observée chez cet animal à l’examen macroscopique est la présence d’un corps étranger de plastique dans l’estomac principal. Bien que ce corps étranger gastrique ait pu nuire à la dynamique digestive de l’animal, nous ne croyons pas qu’il soit responsable de son échouage. Pour l’instant, la cause de l’échouage de cette baleine à bec de True demeure inconnue». Des algues ont en outre été retrouvées dans le premier compartiment gastrique, ce qui est anormal. Des analyses d’histopathologies seront effectuées et permettront de conclure sur les causes de la mort.
Un legs pour la science
La baleine à bec de True se retrouve maintenant à la Ferme 5 étoiles à Sacré-Cœur, au «cimetière des baleines». Les os ont été grossièrement retirés de la chair de l’animal. Ils ont ensuite été déposés dans un contenant pour la période hivernale. Au printemps prochain, de nouvelles étapes suivront: dépeçage, nettoyage en profondeur, séchage et montage. Le squelette, une fois préparé, rejoindra la plus grande collection de squelettes de baleines au Canada; il sera installé de façon permanente au Centre d’interprétation des mammifères marins. Cette ultime étape aura lieu en 2024!