Cette année dans le Saint-Laurent, au moins 13 paires mère-veau rorquals à bosse ont été identifiées par les équipes de la Station de recherche des iles Mingan (MICS) et du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). Après une période de faible natalité entre 2010 et 2016, ces observations hors de l’ordinaire sont-elles une conséquence du rétablissement de la population de rorquals à bosse de l’ouest de l’Atlantique Nord, dont certains individus visitent le Saint-Laurent?

«C’est bien que la reproduction recommence!», constate Christian Ramp, coordonnateur de la recherche au MICS. «Mais on ne peut pas oublier la récente période avec très peu d’observations de baleineaux. De plus, le premier hiver est le plus difficile pour les jeunes rorquals à bosse, car ils doivent trouver de la nourriture pour eux-mêmes; la mortalité juvénile est élevée. Les jeunes sont aussi plus souvent attrapés dans les engins de pêche que les adultes», explique-t-il. Alors un grand taux de naissance ne veut pas dire nécessairement une augmentation majeure de la population à long terme.

On estime que la chasse commerciale à la baleine a décimé 90 à 95% de la population mondiale de rorquals à bosse. Aujourd’hui, plusieurs populations impressionnent par leur rapide rétablissement. En 2016, neuf des quatorze populations ont été retirées de la liste étasunienne des espèces en danger. Depuis 2003, la population de l’ouest de l’Atlantique Nord est classée comme «non en péril», après avoir été désignée menacée en 1982, puis préoccupante en 1985. Qu’est-ce qui explique la tendance presque généralisée au rétablissement chez les rorquals à bosse? Petit tour d’horizon de différentes populations.

Comment se remettre de la chasse intensive?

Le taux de croissance d’une population dépend de la survie et de la reproduction de ses individus. Selon une revue de littérature publiée dans Marine Ecology Progress Series en 2017, la rapidité de rétablissement des populations de rorquals à bosse dépend de la disponibilité des proies, des menaces liées aux activités humaines, de l’intensité de la chasse et de la diversité génétique. Les populations de l’hémisphère nord ont tendance à croitre moins rapidement que les populations de l’hémisphère sud. Les chercheurs avancent qu’une plus faible productivité de krill et un trafic maritime plus intense dans l’hémisphère nord expliqueraient en partie ces différences.

Dans la région de la péninsule Antarctique, des chercheurs ont déterminé par biopsie et dosage de progestérone qu’en moyenne 64% des femelles rorquals à bosse y sont gestantes. De plus, 55% des femelles accompagnées d’un veau étaient à la fois allaitantes et gestantes, signe que les rorquals à bosse de cette population pourraient possiblement mettre bas chaque année. Toutefois, avec de si hauts taux de gestation, on s’attendrait à une croissance de population plus grande que celle qui est réellement observée sur le terrain. Les auteurs soupçonnent donc qu’il y a plusieurs cas de mortalité chez les fœtus ou les nouveau-nés, cas qui sont rarement documentés.

Des changements climatiques rapides affectent cette région, avec une élévation de température de 7 °C depuis 1950. Par conséquent, la durée du couvert de glace a diminué de 80 jours depuis 40 ans, ce qui pourrait permettre aux rorquals à bosse de passer plus de temps dans leur aire d’alimentation, favorisant ainsi la croissance de la population. Toutefois, à long terme, la diminution du couvert de glace pourrait avoir des effets négatifs sur la production de krill.

Une croissance sans limites?

Avec une croissance annuelle de 11% et une abondance similaire à celle d’avant la chasse, soit environ 26 000 individus, tout porte à croire que la population de rorquals à bosse de l’est de l’Australie est rétablie. Chez les rorquals à bosse, et plus généralement chez toutes les espèces qui vivent longtemps et qui prodiguent des soins à leurs petits, on s’attend à ce que la croissance soit exponentielle avant de ralentir et d’atteindre un plateau. Ce plateau, c’est la capacité limite de l’écosystème. Elle représente le nombre maximal d’individus pouvant vivre dans un environnement aux ressources limitées. Cette limite correspondrait à la taille de la population avant son exploitation.

Mais, étonnamment, la population de l’est de l’Australie continue de croitre de manière exponentielle et ne semble pas tendre vers un plateau prochainement. Même si les données actuellement disponibles ne permettent pas de trancher, les chercheurs ont envisagé deux explications. Tout d’abord, la capacité limite de l’écosystème est peut-être plus grande que celle retenue par les chercheurs, soit parce qu’on a mal estimé la taille de la population d’avant la chasse, ou bien parce que l’écosystème actuel est plus riche en ressources qu’avant.

Autre possibilité : des abondances locales de krill permettraient possiblement à la population de rorquals à bosse de croitre au-delà du plateau, ce qui entrainerait dans le futur un important déclin vers la réelle capacité limite. Chez les baleines grises, d’importants évènements de mortalité pourraient être associés au même phénomène de dépassement de la capacité limite.

Pourquoi les autres espèces ne se rétablissent-elles pas aussi rapidement?

Pendant que les rorquals à bosse progressent rapidement, les populations de rorquals bleus et de rorquals communs ne profitent pas des mêmes taux de croissance. La chasse à la baleine constitue l’exploitation animale par l’humain la plus intense de l’histoire. Impossible donc de se fier à des cas similaires pour prédire le rétablissement des populations de baleines. «On sait que des populations de mammifères se rétablissent de la chasse et d’autres formes de surexploitation, mais la dynamique de comment cela se produit n’est pas bien comprise», explique à phys.org Michael Noad, auteur principal de l’étude sur les rorquals à bosse de l’est de l’Australie. Cette population est suivie depuis les années 1980 et les données recueillies pendant son rétablissement devraient donc permettre d’améliorer les connaissances scientifiques sur ce phénomène.

Selon Ari Friedlaender, coauteur de l’étude sur les rorquals à bosse de la péninsule Antarctique, plusieurs facteurs peuvent expliquer le succès de cette espèce. En saison hivernale, les rorquals à bosse ont tendance à se regrouper, ce qui favorise la rencontre entre les mâles et les femelles pour l’accouplement. Au contraire, les rorquals bleus comme les rorquals communs restent éparpillés, ce qui pourrait limiter les occasions de reproduction, surtout lorsque les populations sont petites. Les rorquals à bosse atteignent aussi la maturité sexuelle plus rapidement que d’autres espèces et les intervalles entre les naissances sont plus courts, ce qui influence positivement leur rétablissement.

 

Actualité - 29/10/2019

Jeanne Picher-Labrie

Jeanne Picher-Labrie a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 comme rédactrice à Baleines en direct et naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins. Baccalauréat en biologie et formation en journalisme scientifique en poche, elle est de retour en 2021 pour raconter de nouvelles histoires de baleines. En se plongeant dans les études scientifiques, elle tente d’en apprendre toujours plus sur la mystérieuse vie des cétacés.

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