Le 6 septembre 2016, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), l’agence américaine qui gère et protège les stocks des populations de baleines, a annoncé le retrait de neuf des quatorze populations de rorquals à bosse de la liste étasunienne des espèces en danger (U.S. List of Endangered and Threatened Wildlife). Les rorquals à bosse avaient été inscrits dans la liste en 1970, alors que l’espèce avait été décimée par la chasse commerciale. Le retrait de neuf populations démontre le succès des efforts de protection pour plusieurs populations de rorquals à bosse. Cependant, cinq populations tardent à se rétablir et resteront dans la liste : quatre sont toujours considérées comme en danger de disparition et une est maintenant considérée comme menacée. Selon certains chercheurs et groupes environnementaux, le travail est loin d’être terminé.

« Les données derrière le retrait [de ces populations] de rorquals à bosse sont solides », dit Robert Pitman, un écologiste marin travaillant pour la NOAA et récipiendaire d’un prix du National Geographic Society. « Ceux d’entre nous qui ont travaillé sur le terrain avec les rorquals au cours des trente à quarante dernières années ont été émerveillés par le rétablissement que nous avons observé ».

Bien qu’il puisse sembler étrange de retirer de la liste seulement certaines populations, alors que d’autres populations de la même espèce sont encore dans une situation critique, cela est logique du point de vue biologique, selon Marta Nammack, coordonnatrice de la liste des espèces en danger à la NOAA. Selon les estimations actuelles, il y aurait un peu moins de 100 000 rorquals à bosse mondialement. Cependant, chacune des quatorze populations est considérée comme génétiquement distincte. Certaines populations partagent les mêmes aires d’alimentation, mais migrent ensuite dans des régions différentes pour la saison de reproduction.

Les conclusions d’un réexamen du statut des rorquals à bosse, lancé en 2010 par le service de la pêche de la NOAA, appelaient à la division de cette espèce en quatorze populations distinctes. Selon Eileen Sobeck, administratrice adjointe du service de la pêche de la NOAA, d’avoir suivi ces populations de manière indépendante « a permis à la NOAA d’adapter ses approches de protection selon les besoins de chacune d’entre elles ». La carte ci-dessous présente la distribution mondiale de ces quatorze populations de rorquals à bosse et leur nouveau statut.

Ce n’est pas la première fois que seulement certains segments d’une espèce sont retirés de la liste des espèces en danger. Par exemple, la sous-population des baleines grises du Pacifique Nord-Est a été retirée de la liste en 1994, mais la sous-population du Pacifique Nord-Ouest est toujours considérée comme en voie de disparition.

Un travail qui n’est pas terminé

Malgré le retrait de ces neuf populations de rorquals à bosse de la liste des espèces en danger, « le travail n’est pas terminé », selon Kristen Monsell, avocate au Center for Biological Diversity. « Ces rorquals font face à plusieurs menaces importantes et croissantes, y compris l’empêtrement dans les engins de pêche, et mettre fin aux protections maintenant est un pas dans la mauvaise direction. À tout le moins, le gouvernement fédéral doit répondre à l’énorme augmentation des cas d’empêtrement dans des engins de pêche le long de la côte ouest », poursuit Mme Monsell.

L’organisme Whale and Dolphin Conservancy a également exprimé ses préoccupations concernant le retrait de certaines populations de la liste des espèces en danger. Un sous-ensemble de la population de l’ouest de l’Atlantique Nord, qui se nourrit dans le golfe du Maine et comprend moins de 1000 individus, est considérablement affecté par les prises accidentelles dans les engins de pêche et par les collisions avec les navires. Le groupe estime donc que le retrait de certaines populations est prématuré.

Selon Christian Ramp, spécialiste des rorquals à bosse à la Station de recherche des îles Mingan (MICS), bien qu’il soit logique de diviser l’espèce en populations génétiquement distinctes, il peut y avoir de grandes différences dans l’abondance et les tendances régionales au sein d’une même population. À titre d’exemple, la population des Indes occidentales (West Indies) comprend tous les rorquals à bosse de l’ouest de l’Atlantique Nord (golfe du Maine, golfe du Saint-Laurent, Terre-Neuve/Labrador et ouest du Groenland) et ceux qui migrent de l’Islande et de la mer de Barents jusqu’aux Caraïbes. Cette population ne fait maintenant plus partie de la liste des espèces en danger ; selon les derniers estimés, il est peu probable qu’elle disparaisse dans un avenir prévisible. Cependant, presque tous les rorquals à bosse dans le golfe du Maine s’empêtrent au moins une fois au cours de leur vie et de nombreux individus s’empêtrent plusieurs fois. Ces animaux fréquentent des zones où il a beaucoup d’activités humaines (le long de la côte est américaine), comparativement aux animaux qui passent l’été à l’ouest du Groenland, par exemple. De plus, bien que, mondialement, de nombreuses populations de rorquals à bosse soient en cours de rétablissement, les principales menaces affectant les mammifères marins — prises accidentelles dans les engins de pêche, collisions avec les navires, pollution acoustique, pollution chimique et changements climatiques — sont en croissance. Selon M. Ramp, « les impacts potentiels de ces menaces doivent continuer d’être surveillés de près, même pour les populations qui ne sont plus sur la liste des espèces en danger ».

Qu’en est-il des rorquals à bosse du Saint-Laurent?

Le groupe de rorquals à bosse se nourrissant dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent fait partie de la population des Indes occidentales. Alors que le nombre d’animaux photo-identifiés dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent a augmenté depuis le début du suivi en 1980, le nombre relativement faible d’animaux observés (environ 100/an) rend ce groupe vulnérable à des évènements locaux comme un déversement de pétrole, par exemple. En outre, depuis 2011, le nombre de rorquals à bosse photo-identifiés a diminué et très peu de nouveau-nés ont été observés. L’intervalle entre les mises bas a doublé et le taux de natalité a diminué à environ 10 % au cours des dernières années. Cela inquiète les chercheurs et le MICS fait actuellement des analyses biochimiques des paramètres de reproduction (les taux de grossesse, par exemple) des rorquals à bosse. De plus, une grande proportion des rorquals à bosse du Saint-Laurent a des blessures ou des cicatrices causées par des empêtrements dans des engins de pêche. Le MICS recueille présentement des données pour estimer le taux d’empêtrement. Bien que les cas d’empêtrements soient moins fréquents dans le Saint-Laurent que sur la côte américaine, ces animaux ne passent que quelques mois dans les eaux du Saint-Laurent avant de migrer vers leurs zones de reproduction, traversant ainsi plusieurs zones où ils risquent de s’empêtrer dans des engins de pêche.

Ainsi, bien que le retrait de plusieurs populations de rorquals à bosse de la liste des espèces en danger soit un signe du succès des efforts de conservation entrepris au cours des dernières décennies, « des différences régionales importantes entre différents groupes de rorquals à bosse nécessitent des approches régionales de conservation », conclut M. Ramp.

Actualité - 26/9/2016

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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