Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a annoncé le 21 juillet que son gouvernement rejetait le projet Énergie Saguenay de GNL Québec, une décision attendue par de nombreux groupes et citoyens. En effet, l’évaluation environnementale de ce projet de construction d’une usine de liquéfaction de gaz naturel a fait l’objet d’une participation record, avec 2550 mémoires déposés au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
En conférence de presse, le ministre explique que l’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) pourrait freiner la transition des pays acheteurs vers des énergies renouvelables, et qu’il n’a pas été démontré que le GNL remplacerait des énergies plus polluantes. Des conclusions similaires avaient d’abord été émises par le BAPE. L’autorisation d’Énergie Saguenay par le gouvernement était conditionnelle à la démonstration par le promoteur que son projet favoriserait la transition énergétique et qu’il réduirait la quantité globale d’émissions de gaz à effet de serre.
Bien qu’ils n’aient pas été évoqués par le ministre, les impacts du passage de 300 à 400 méthaniers par année dans le Saguenay sur les espèces marines, notamment les bélugas du Saint-Laurent, étaient aussi au cœur des préoccupations pendant tout le processus d’évaluation environnementale. Ainsi, en plus du climat, vraisemblablement déterminant dans la décision, c’est tout l’écosystème qui bénéficiera de l’abandon du projet.
Une multitude d’avis défavorables sur le projet
Depuis le début de l’évaluation environnementale du projet, les avis défavorables se multiplient. Par exemple, parmi les mémoires reçus par le BAPE, 90% se positionnaient contre le développement de l’usine de liquéfaction à Saguenay. De plus, les communautés innues de Mashteuiatsh, d’Essipit et de Pessamit se sont officiellement positionnées en défaveur du projet, notamment en raison de ses impacts sur le climat et la biodiversité. Dans le rapport d’analyse environnementale, on peut lire que, en raison d’un «important clivage social», le ministère n’a pas pu se prononcer sur l’acceptabilité sociale, qui était d’ailleurs la troisième condition fixée par le gouvernement pour autoriser le projet.
Dans son rapport rendu public à la fin mars, le BAPE souligne que toute augmentation du trafic maritime dans la rivière Saguenay irait à l’encontre des efforts de rétablissement de la population de bélugas du Saint-Laurent, qui est en voie de disparition.
Soulagé par l’annonce, Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), soutient que «les bélugas ont besoin de toute l’aide que nous pouvons leur accorder». Et, parmi les menaces qui pèsent sur eux, le bruit d’origine anthropique est celle sur laquelle nous avons le plus de pouvoir à court terme. En effet, la réduction du bruit sous-marin aurait des impacts immédiats dans le quotidien des bélugas.
Les avis scientifiques de Pêches et Océans Canada et de Parcs Canada, transmis à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada le 11 juin, vont dans le même sens: le projet Énergie Saguenay irait à l’encontre des efforts déployés dans les dernières années pour la conservation des espèces en péril. Selon Parcs Canada, «l’accroissement du nombre de passages de la marine marchande dans le parc marin pourrait compromettre la capacité du parc marin à rencontrer son mandat, qui consiste à rehausser le niveau de protection des écosystèmes pour les générations actuelles et futures». L’avis scientifique de Parcs Canada rappelle d’ailleurs que la conservation du béluga a été un élément déterminant dans la création du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent en 1998.
Comprendre les besoins des bélugas
«Si on veut continuer à partager le Saint-Laurent avec ces animaux fascinants, nous devons bien comprendre et respecter leurs besoins», ajoute Robert Michaud. Quels sont les besoins des bélugas? Puisque leur communication et leur alimentation reposent sur leur sens de l’audition, la tranquillité acoustique en fait partie. En effet, le bruit sous-marin émis par les navires peut masquer les vocalises des bélugas, essentielles à la cohésion du groupe et à la communication mère-veau, ainsi que leurs signaux d’écholocalisation.
Comparé à l’estuaire du Saint-Laurent, le Saguenay est pour le moment moins bruyant, et est donc considéré comme un refuge acoustique. Les recherches sur la structure sociale des bélugas ont montré que ce secteur est majoritairement utilisé par des groupes de femelles et de jeunes, qui sont particulièrement vulnérables aux effets de la pollution sonore.
Afin de quantifier les impacts de l’augmentation du trafic maritime dans le Saint-Laurent et le Saguenay, le chercheur Clément Chion de l’Université de l’Outaouais, en collaboration avec le GREMM, a conçu un simulateur, qui permet de prédire les effets de différents scénarios et mesures d’atténuation potentielles. Lorsqu’il sera au point, le simulateur devrait améliorer la justesse des évaluations environnementales des projets de développement maritime dans la région.