Jusqu’à récemment, les chercheurs parlaient encore d’une population de quelque 400 baleines noires de l’Atlantique Nord, qu’on appelle aussi baleines franches de l’Atlantique Nord. Mais de nouvelles estimations rendues publiques la semaine dernière font état de seulement 356 individus encore en vie. Les experts attribuent cette baisse drastique de la population aux activités humaines. Si cette chute libre continue, elle peut précipiter l’espèce vers l’extinction plus rapidement que prévu.

Noir constat

Les chiffres dévoilés le 26 octobre par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), l’équivalent de Pêches et Océans Canada aux États-Unis, ont fait l’effet d’une bombe à l’ouverture du congrès annuel du consortium pour les baleines noires de l’Atlantique Nord (NARWC). Les autorités, qui estimaient qu’il restait 412 individus vivants de l’espèce en janvier 2018, évaluent maintenant qu’en janvier 2019, ils n’étaient plus que 366, soit une chute brutale de 11% en un an. Pire, cette population ne compterait plus que 94 femelles reproductrices.

Pourquoi une telle baisse ? La NOAA explique d’abord qu’elle a procédé à une révision des chiffres de 2018 grâce à la photo-identification. De nombreuses baleines inscrites au catalogue n’ont pas été revues depuis des années et peuvent désormais être considérées comme décédées, même si leur carcasse n’a pas été retrouvée. On estime que seule la moitié des mortalités seraient comptabilisées grâce aux carcasses. Ainsi, en janvier 2018, il ne restait probablement déjà que 383 baleines noires de l’Atlantique Nord, chiffre auquel il a fallu retirer les 17 carcasses retrouvées dans le courant de l’année 2018.

Combien aujourd'hui ?

Il est toujours plus facile d’évaluer une population a posteriori, ce qui explique que ces chiffres donnent une photographie de l’espèce pour janvier 2019. Mais combien reste-t-il d’individus aujourd’hui, à l’automne 2020 ?

Depuis janvier 2019, on a dénombré 11 carcasses et repéré 4 baleines suffisamment blessées pour qu’on doute qu’elles soient en vie. Récemment, deux individus sévèrement empêtrés ont été repérés au large du New Jersey. Enfin, sur les 13 veaux nés au cours des deux dernières années, un est présumé mort début 2020 et un autre a été trouvé décédé cet été, tous deux des suites d’une collision.

Les chercheurs réunis au congrès s’accordent donc à penser que la population actuelle s’établirait autour de 356 individus encore en vie, même si ces chiffres doivent encore être affinés. Ironiquement, la rencontre annuelle consacrée à l’espèce réunissait possiblement plus de personnes impliquées dans la sauvegarde de ces baleines qu’il n’en reste dans l’océan.

Un avenir bien sombre

Au-delà du nombre, ce qui inquiète les chercheurs, c’est la rapidité du déclin de la population de baleines noires de l’Atlantique Nord ! Suite à des décennies de chasse qui ont décimé l’espèce, la population a péniblement atteint 481 individus en 2011. Malheureusement, entre 2011 et 2019, on dénombre seulement 103 naissances contre 218 décès — soient en moyenne 24 morts par an, tous attribuables à l’activité humaine, précise la NOAA. Les deux causes de mortalité principales sont les collisions avec les navires et les empêtrements dans des engins de pêche.

Cette mortalité est bien trop élevée pour permettre à la population de se redresser. L’organisme juge qu’il ne faudrait pas plus d’un décès par an pour stabiliser la population. À l’inverse, à ce rythme-là, l’espèce aura disparu rapidement. Lors d’une entrevue à CBC News la semaine dernière, le chercheur Philip Hamilton du New England Aquarium, estimait « qu’il pourrait ne plus y avoir de femelles d’ici les 10 à 20 prochaines années ». Celui-ci confiait aussi sa tristesse devant ce bilan : « Pour nous, ce sont bien plus que de simples chiffres. Ce sont des individus que nous connaissons, et, en ce qui me concerne, que j’ai connus pendant toute ma vie professionnelle ».

C'est l'heure d'agir!

La bonne nouvelle, car il y en a une, c’est que contrairement à d’autres espèces en voie de disparition, on sait exactement ce qui tue les baleines noires de l’Atlantique Nord. Les causes de mortalité sont bien identifiées – il s’agit essentiellement des collisions et des empêtrements dans des cordages de pêche – et sont évitables. On peut donc agir concrètement et rapidement pour la sauvegarde de l’espèce.

Côté canadien, depuis l’épisode de mortalité de 2017 dans le golfe du Saint-Laurent, d’importantes mesures ont été mises en place pour repérer la présence de baleines noires, fermer de manière temporaire ou permanente des zones de pêche et instaurer des limitations de vitesse dans les zones où ces baleines sont présentes.

«Le gouvernement canadien a agi relativement rapidement, et la communauté des pêcheurs canadiens a réagi aussi assez rapidement, a confirmé Scott Kraus, président du North Atlantic Right Whale Consortium. Dans tout le golfe du Saint-Laurent, je pense que nous constatons des améliorations significatives.» En 2020, aucune baleine noire n’a été retrouvée empêtrée ou décédée côté canadien! Par contre, on ne peut confirmer où les baleines empêtrées trouvées aux États-Unis se sont prises dans les cordages.

Reste à protéger les baleines noires hors du golfe, et notamment le long des côtes étasuniennes, où la pêche au crabe et au homard est une industrie-clé. Les initiatives pour concilier les intérêts des pêcheurs et des baleines noires de l’Atlantique Nord doivent aboutir rapidement si l’on veut éviter l’extinction de l’espèce. Il n’y a plus de temps à perdre.

Actualité - 5/11/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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