Plus de la moitié des bélugas et le deux tiers de femelles bélugas du Saint-Laurent fréquentent le Saguenay. C’est ce qui a été découvert par des chercheurs de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins. Cette découverte est importante: les niveaux d’exposition des bélugas au bruit des navires prédits par le simulateur que les chercheurs développent pour mieux évaluer les impact du bruit et de la navigation et les meilleures stratégies pour atténuer ces impacts sont trois fois plus élevés lorsqu’on tient compte des caractéristiques sociales complexes des bélugas et de leurs habitudes de fréquentation du territoire. Ces résultats inquiètent les chercheurs qui recommandent d’imposer un moratoire aux projets qui pourraient augmenter le trafic maritime dans le Saguenay.
«Nos résultats remettent en question la validité des études d’impact acoustique réalisées à ce jour pour le béluga», souligne Clément Chion, directeur du Laboratoire interdisciplinaire de simulation socio-écologique de l’UQO et directeur du programme de recherche financé par le gouvernement du Québec. Ces études ne prenaient pas en compte l’utilisation réelle du lieu par les bélugas. Elles s’appuyaient sur le fait qu’en moyenne moins de 5% de la population du Saguenay se trouve à un instant donné dans le Saguenay. Toutefois, elles ne mettaient pas en lumière que ce 5% n’est pas toujours composé par les mêmes individus.
Pour le moment, le Saguenay constitue un refuge acoustique naturel. «On doit mieux comprendre l’impact d’une augmentation du trafic maritime dans le Saguenay sur les bélugas, mais surtout comment en atténuer ou en compenser les effets pour assurer la survie des bélugas du Saint-Laurent», prévient Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM et spécialiste des bélugas.
Clément Chion indique que ce moratoire n’est pas permanent. «Avec l’engagement de tous les acteurs des secteurs public et privé, notre simulateur sur lequel je travaille depuis 15 ans permettra de concilier la navigation avec la présence des baleines. Mais d’ici à l’aboutissement du programme, on ne doit pas précipiter des décisions qui pourraient avoir des effets écologiques dommageables et irréversibles.»
Pour Robert Michaud, « le simulateur est une percée majeure. Tout ce que nous avons appris sur les bélugas depuis le début du GREMM a nourri ce modèle de simulation. Les données de mes collègues de Pêches et Océans Canada et de Parcs Canada ont aussi été mis à contribution et donnent un éclairage complètement nouveau sur la population.»
«Le béluga du Saint-Laurent est une espèce emblématique du Québec et se trouve malheureusement en voie de disparition. Son importance patrimoniale, écologique, et même économique appelle à une grande prudence sur l’autorisation de projets pouvant affecter sa survie», estime Jérôme Dupras, co-chercheur du projet et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique de l’UQO. Au cours des prochaines années, il évaluera avec son équipe les couts et bénéfices de différentes d’atténuation du bruit sous-marin de la navigation dans l’habitat du béluga du Saint-Laurent.
Le financement octroyé en 2018 par le ministère de la Faune, de la Forêt et des Parcs du Québec permet de développer un simulateur pour prédire l’exposition des bélugas au bruit et à la navigation. Il évaluera dans sa version finale les impacts de l’augmentation du trafic maritime et de plaisance dans le Saguenay et le Saint-Laurent ainsi que les meilleures avenues pour diminuer le bruit sous-marin.