Un troupeau de bélugas perce la surface alors que braillements, gazouillements, sifflements et grognements emplissent l’eau — on comprend pourquoi ces baleines sont surnommées « canaris des mers ». Mais est-ce que leurs sons pourraient permettre de les différencier individuellement?

Valeria Vergara et Marie-Ana Mikus du programme de recherche sur les mammifères marins d’Ocean Wise ont trouvé des preuves préliminaires selon lesquelles les cris de contact agissent comme signatures vocales chez les bélugas sauvages. Une découverte majeure.

« Nous avons étudié cette espèce sans comprendre son langage. Nous comprenons maintenant “bonjour” et “bonjour, mon nom est…” », s’exclame Valeria Vergara.

Les bélugas sont des animaux extrêmement grégaires et sociaux. Ils ont des sociétés matrilinéaires caractérisées par une forte ségrégation sexuelle durant leurs rassemblements estivaux, alors que les troupeaux de femelles et de petits reviennent dans les mêmes zones côtières année après année — un phénomène appelé fidélité au site. « Pour un béluga, la fidélité à un site permet d’avoir une bonne connaissance de cette zone pour les premiers mois de vie de sa progéniture, et donc de connaitre ses avantages et les menaces qui peuvent y survenir. C’est une bonne stratégie pour accroitre sa survie », explique Robert Michaud, directeur scientifique et président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).

Un de ces rassemblements estivaux se produit annuellement à l’inlet Cunningham, dans l’Arctique canadien. Environ 2000 bélugas de l’est du Haut-Arctique et de la baie de Baffin se réunissent chaque année à cet endroit à l’abri de toute agitation. Valeria Vergara a mené une étude au cours des étés 2014 et 2015 dans ce lieu parfait pour étudier les bélugas. Il lui a permis de mettre au point une base de référence sur la nature de ces sons universels dans un environnement inaltéré.

Les bélugas peuvent produire une variété de sons, parmi laquelleVergara a répertorié 28 types différents. Les cris de contact représentent un de ces 28 types de sons. Ce sont destrains d’impulsions rapides à large bande stéréotypés d’une durée relativement longue, forts et capables d’être transmis sur de longues distances sous l’eau. D’un point de vue acoustique, ils se démarquent du reste du répertoire.

« Les appels représentent des sons importants d’un point de vue biologique dans le répertoire des bélugas, mais aussi de nombreux autres oiseaux et mammifères sociaux comme le narval », explique Vergara.

Elle étudie ces sons chez les bélugas en captivité de l’aquarium de Vancouver depuis 2002. C’est là qu’elle a découvert les cris de contact pour la première fois. Elle a aussi noté le fait que ces baleines très sociales les utilisent immédiatement après les naissances et les décès, et lorsqu’elles sont réunies après des séparations forcées. À partir d’enregistrements d’individus du fleuve Nelson et de l’estuaire du Saint-Laurent, elle note aussi que les bélugas sauvages utilisent ces sons dans des situations similaires à celle des spécimens en captivités. Elle applique maintenant ses vastes connaissances aux bélugas sauvages, comme ceux qui visitent l’inlet Cunningham.

Bien que les appels soient utilisés de manière prédominante par les mères et leurs petits, d’autres les utilisent aussi dans des situations d’isolement où ils doivent reprendre contact avec le groupe, ce qu’elle a observé lors de son étude.

Les sons des bélugas enclavés ont été enregistrés avec un hydrophone. La chercheuse a aussi étudié la composition du groupe et le nombre d’individus avec un drone. © Natural Mystery Films
Valeria Vergara a étudié les cris de contact chez les bélugas naturellement enclavés par des bancs de sable dans l’inlet Cunningham en 2014 et 2015. Ces bélugas ont été séparés du reste du troupeau par la marée basse et ils n’ont pas été capables de rejoindre le troupeau avant la marée haute suivante. © Natural Mystery Films

Valeria Vergara a enregistré des sons de bélugas alors que des membres curieux du troupeau s’aventuraient chaque jour dans un chenal de rivière. Avec la marée basse, les bélugas étaient incapables de rebrousser chemin durant plusieurs heures. Des bancs de sable les ont naturellement enclavés et séparés du reste du troupeau. Elle a recueilli des données lors de 14 situations d’enclavement naturel au cours de sa période d’étude et elle a découvert que plus de 60 pour cent de tous les sons produits par les troupeaux enclavés étaient des cris de contact.

Il existe deux types de cris de contact: les simples et les complexes (variés et composés de deux types d’éléments acoustiques produits simultanément). Vergara a classé plus de 8000 appels complexes enregistrés lors d’enclavements en 87 types distincts selon leurs spectrogrammes. Un spectrogramme est une représentation visuelle du son.

Elle a découvert un lien étroit entre le nombre d’individus et le nombre de types d’appels complexes par enclavement. Cela suggère que soit un type d’appel complexe unique est produit par un seul individu, soit un même type d’appel est produit par des individus liés, comme une mère et son petit. En outre, un son de « réponse » a été enregistré dans les 2 secondes suivant presque 70 pour cent de tous les appels complexes.

Décoder ce mystère considérable de l’univers acoustique des bélugas a mené Vergara à se poser plus de questions sur l’utilisation des appels et sur la façon dont ils se transforment dans des environnements acoustiques plus chargés.

Comme prochaine étape, nous aimerions découvrir s’il est possible d’attribuer avec succès des types d’appels complexes particuliers à des individus précis ou à des animaux étroitement liés

Vergara souhaite commencer à identifier les bélugas du Saint-Laurent par leur « signature acoustique », ce qui complémenterait les travaux de photo-identification du GREMM. Jusqu’à maintenant, les deux équipes ont été en mesure d’associer un individu appelé Neo à un appel complexe distinct.

Qu’est-ce que les prochaines études nous révéleront sur ces baleines au vaste répertoire vocal? Restez à l’écoute pour le savoir!

Actualité - 8/1/2019

Jasspreet Sahib

Après avoir passé l’été avec des baleines sur la côte ouest du Canada, Jasspreet Sahib est heureuse de se joindre à l’équipe du GREMM cet automne comme stagiaire en rédaction par l’entremise du programme du Corps de conservation canadien. Elle a fait des études en biologie marine et en journalisme à l’Université Dalhousie et adore partager sa passion pour les mammifères marins et la communication scientifique avec les lecteurs de Baleines en direct.

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