Alors que les feuilles changent de couleur et que le froid s’intensifie, les rorquals à bosse présents dans les eaux canadiennes commencent graduellement à émettre des sons mélodieux. C’est ce qu’a découvert l’équipe de recherche de JASCO Applied Science, de l’Université de Dalhousie à Halifax. En tendant l’oreille sous l’eau, les chercheurs ont eu la surprise d’entendre des rorquals à bosse chantonner près de la côte ouest de l’Atlantique nord à l’approche de la période de reproduction, soit dès la fin septembre… et jusqu’en janvier. Leur étude a aussi permis d’en apprendre davantage sur la fonction du chant chez les rorquals à bosse et sur le lien entre ce comportement et leur environnement.
Plusieurs types de vocalisations
Lorsqu’on pense aux vocalises des rorquals à bosse, on pense aux fameux « chants des baleines ». En fait, les rorquals à bosse peuvent émettre plusieurs types de vocalisations que les chercheurs appellent «chansons» et «non-chansons». Les sons identifiés comme des «non-chansons» sont simples et sont produits toute l’année, tant par les mâles que par les femelles et les veaux pour communiquer.
Au contraire, les «chansons» sont uniquement produites par les mâles de façon saisonnière, dans le cadre de la reproduction. Les mâles produiraient des mélodies afin de maximiser leur succès reproducteur, mais la raison précise de ce comportement reste encore à préciser. Ces sons sont complexes et structurés en phrases et en paragraphes qui sont répétés par les individus, un peu comme les couplets et les refrains d’une véritable chanson! Ces chansons peuvent être répétées pendant des heures, constituant l’une des productions sonores les plus étonnantes de la nature.
À l’écoute des ondes marines
Pour écouter les vocalises des rorquals à bosse, les chercheurs ont enregistré pendant trois ans les sons émis sous l’eau grâce à des microphones marins appelés hydrophones. Les chercheurs ont ensuite analysé les données de huit stations d’écoutes positionnées dans des zones fréquentées par les baleines, entre le Labrador (Canada) et le Massachussetts (États-Unis).
Une période d’échauffement
Ainsi, les biologistes ont réalisé que les vocalisations des mâles débuteraient dès la fin septembre avec des sons correspondant majoritairement à des fragments de chansons. Ces sons évolueraient progressivement au cours des semaines suivantes. À partir de la fin octobre, après une période de transition d’un mois, les mélodies correspondraient alors surtout à des chansons complètes répétées régulièrement! Les baleines réchaufferaient-elles leur voix en pratiquant d’abord le refrain de leur chanson?
Cette période de transition entre non-chants et chants complets avait déjà été observée dans la baie de Fundy dans le cadre d’une autre étude. Ce comportement semble donc généralisable aux populations de rorquals à bosse de l’ouest de l’Atlantique nord. La présence de chants d’abord non fréquents ou fragmentés pourrait notamment être expliquée par le fait que certains individus chantent plus tôt que d’autres, que les mâles s’exercent à chanter, ou encore que le niveau d’hormones ne soit pas initialement suffisant pour induire un chant régulier.
Au sud, les baleines commencent à chanter tôt
Le chant saisonnier des mâles, principalement entendu dans les eaux chaudes près de leur lieu de reproduction, débute donc juste avant ou pendant leur migration vers le sud à l’automne. Existe-t-il des changements environnementaux qui induiraient ce changement de comportement graduel?
La photopériode, la durée du jour, affecte les comportements associés à la saison de reproduction de nombreux animaux. Dans le cas des rorquals à bosse, les chercheurs ont déterminé que la réduction de la photopériode, serait un signal important pour les baleines indiquant qu’il est l’heure pour les mâles de débuter les vocalises. D’autres facteurs environnementaux tels la pression et la température de surface de la mer influenceraient aussi la date de début de chant régulier.
Les chercheurs ont aussi observé des chants plus précoces chez les baleines situées plus au sud. La variabilité du début du chant entre les différents endroits pourrait s’expliquer par la condition physique des baleines. L’hypothèse est que les baleines dont les aires d’alimentation sont situées plus au sud, par exemple dans la baie du Massachusetts, auraient en général un parcours migratoire plus court. Elles accumuleraient donc plus rapidement les réserves de graisse suffisantes pour leur voyage et commenceraient à chanter plus tôt dans la saison que les baleines s’alimentant plus au nord.
Des chants jusqu’en janvier
Dans le cadre de cette étude, les écoutes sous-marines à grande échelle ont permis de détecter des rorquals à bosse dans les eaux côtières du Canada jusqu’en janvier. Les relevés acoustiques effectués dans le cadre d’une autre étude avaient révélé qu’ils étaient même présents, dans une moindre mesure, pendant tous les mois de l’année. Ce résultat surprenant suggère que les individus commenceraient leur migration à différents moments de l’année, que certaines baleines effectueraient des migrations plus courtes ou plus tardives ou encore que certains rorquals à bosse ne migreraient simplement pas.
Puisqu’elles sont le théâtre de comportements associés à la reproduction avant le début de leur migration automnal, les eaux canadiennes pourraient donc constituer un habitat bien plus important pour les baleines qu’un simple garde-manger.