On le sait, les baleines sont de bonnes mangeuses et peuvent repérer leurs proies de loin, certaines grâce au sens du gout et de l’odorat, d’autres grâce à l’écholocalisation. Mais ont-elles l’eau à la bouche à l’idée d’un bon banc de poissons ou à la vue d’un nuage de krill? Au fait, les baleines produisent-elles de la salive? C’est l’étonnante question que s’est posée notre rédactrice en chef Marie-Ève Muller en écrivant sa chronique des Observations de la semaine. Nous sommes allés chercher la réponse.

Un réflexe appétissant

Dans le règne animal, la salivation est un acte réflexe, provoqué par la vue d’un aliment ou encore par une odeur appétissante! C’est tout simplement notre bouche qui, prévenue par nos sens, se prépare à recevoir des aliments et à démarrer la mastication. Des études comme celles de Pavlov ont aussi montré que la salivation peut être activée par un stimulus extérieur, comme un son de cloche qui précèderait l’arrivée de la nourriture.

Chez l’humain, le souvenir ou l’anticipation d’un repas peut aussi provoquer la salivation. Ce phénomène naturel a donné lieu à l’expression «avoir l’eau à la bouche». Difficile de savoir si les baleines sont capables de se souvenir ou d’anticiper un bon gueuleton. Mais le succès des techniques de conditionnement chez les dauphins, bélugas et orques en captivité laisse imaginer que cela pourrait être le cas.

Glande salivaire atrophiée et gène manquant

Prévoir un bon repas est une chose, mais pour avoir l’eau à la bouche, encore faut-il posséder des glandes salivaires, ces organes situés proches de la bouche et qui produisent la salive. Or, chez les cétacés, on note que les glandes salivaires sont atrophiées – voire inexistantes. Elles sont donc généralement présentes, mais de petite taille, et leur fonctionnement reste méconnu.

Grâce à une étude réalisée en 2019 sur le génome de plusieurs cétacés, on a néanmoins une piste : il semblerait que lors de sa transition de la terre vers la mer, l’ancêtre des cétacés actuels ait perdu plusieurs gènes, dont SLC4A9. «Ce gène que nous avons identifié comme perdu chez les cétacés contribue normalement à la sécrétion de salive, précise Michael Hiller, chercheur à l’Institut Max Planck et coauteur de cette étude. Mais d’autres gènes sont également impliqués. Ces gènes ne sont pas « cassés », mais ils ont pu être réduits au silence. On ne sait pas si c’est le cas.»

Il se pourrait donc que les glandes salivaires soient vestigiales, c’est-à-dire un ancien organe désormais inutilisé, mais toujours présent, au même titre que notre appendice, par exemple. Mais peut-être produisent-elles encore une forme de salive ou de mucus… «Les souris à qui ont a retiré le gène SLC4A9 ont montré une réduction de 35% de la salive sécrétée par la glande sous-mandibulaire», souligne l’étude. A quel point son absence affecte les cétacés, par contre, cela reste un mystère.

S'adapter au milieu aquatique

Une chose est sure : c’est la vie en milieu aquatique qui est responsable de cette absence ou réduction de salive. D’ailleurs, on note que les lamantins ont également perdu ce fameux gène SLC4A9 au cours de leur évolution, ce qui n’est pas le cas des phoques, qui passent une partie de leur vie en dehors de l’eau.

Pour Michael Hiller, il y a plusieurs explications évolutives possibles. «La salive est certainement inutile, car les baleines ne peuvent pas utiliser les enzymes digestives qui sont normalement présentes dans la salive lorsqu’elles se nourrissent, car l’eau de mer diluerait trop la salive. De plus, elles n’ont pas besoin de salive pour lubrifier leur nourriture.» Par conséquent, la perte ou la diminution de production de salive serait due au fait que celle-ci n’était plus nécessaire.

«Une autre hypothèse, qui n’exclut pas la première, est qu’il peut même être bénéfique de ne pas produire de salive, car cela entrainerait une perte d’eau douce», souligne le chercheur de l’Institut Max Planck. Or, lorsqu’on vit dans l’eau salée, conserver un stock d’eau à l’intérieur de son corps est une obligation pour survivre. On note d’ailleurs que le gène SLC4A9 contribue à l’équilibre osmotique à l’intérieur des reins : «La perte du [gène] SLC4A9 pourrait donc aussi contribuer aux concentrations urinaires élevées de sodium et de chlorure chez les cétacés». C’est donc pour mieux survivre dans l’eau salée que les baleines n’ont pas l’eau à la bouche devant leur futur festin!

Les baleines en questions - 13/11/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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