L’équipe de la Station de recherche des iles Mingan (MICS) observe de moins en moins de rorquals communs dans le nord du golfe du Saint-Laurent. Le déclin est-il causé par une émigration en raison du manque ou du mouvement de la nourriture? Ou plutôt à une hausse de mortalité due aux collisions? C’est à ces questions que tente entre autres de répondre une étude publiée dans Marine Ecology Progress Series.

Prédire la distribution des rorquals communs

Deux modèles statistiques pouvant prédire la distribution des rorquals communs ont été élaborés, puis comparés aux réelles observations afin d’évaluer leur fiabilité. L’objectif : comprendre quelles variables influencent leur répartition.

Le premier modèle est basé sur des indicateurs bathymétriques (relatif à la profondeur de l’eau) et environnementaux tels que la température de surface et la concentration en chlorophylle, des paramètres qui peuvent influencer la distribution des proies des rorquals communs. Ce type de modèle est souvent utilisé en l’absence de données sur la distribution de la nourriture, afin de l’estimer indirectement.

Cela dit, les chercheurs avaient la chance d’avoir des données de Pêches et Océans Canada sur la biomasse de krill dans le secteur, ce qui a permis d’élaborer un deuxième modèle plus direct pour étudier l’influence de la distribution de la nourriture sur celle des rorquals communs.

Étonnamment, les chercheurs ont déterminé que le premier modèle expliquait mieux les données de distribution des rorquals communs. «Le problème avec le modèle du krill, c’est que les données n’ont pas été collectées au moment où on voyait les baleines. Le krill, ça bouge beaucoup avec les courants et la température», explique Anna Schleimer, coauteure de l’étude. Le premier modèle a donc été plus utile.

Raffiner les modèles

Dans le premier modèle, deux indicateurs ont eu plus de poids pour expliquer les observations de rorquals communs : la profondeur de l’eau et l’orientation de la pente du fond marin. Ces paramètres n’étant pas variables, ils ne peuvent pas expliquer le déclin des dernières années.

Les rorquals communs sont des généralistes : ils s’alimentent de krill, de hareng, de lançon et de capelan, selon la disponibilité de la nourriture. Or, le modèle des proies utilisé dans l’étude incluait seulement la distribution du krill pour prédire les aires d’alimentation des rorquals communs. De plus, les données de température et de concentration en chlorophylle ont été recueillies sur des images satellites, ce qui ne permet pas de voir ce qui se passe sous la surface.

Malgré le manque de données, les chercheurs soupçonnent que plusieurs composantes de l’écosystème sont modifiées. «On voit de plus en plus de baleines noires de l’Atlantique Nord dans le secteur. Cette tendance est uniquement un des nombreux indices qu’il y a vraiment un changement dans l’écosystème du golfe du Saint-Laurent», constate Anna Schleimer.

Des risques accrus d’interactions avec les activités humaines

Aucune explication définitive n’a été trouvée liant le déclin des rorquals communs aux changements des conditions environnementales. Toutefois, la distribution trouvée met en lumière les menaces auxquelles ils sont exposés. Plus de 20% des rorquals communs recensés lors de l’étude se trouvaient dans un couloir de navigation. Le rorqual commun est l’espèce la plus fréquemment impliquée dans les collisions avec des navires, des accidents parfois fatals. Ils sont aussi susceptibles de s’empêtrer dans des engins de pêche. De plus, les évènements de mortalité des rorquals communs sont probablement sous-estimés puisque, contrairement aux baleines noires, leur carcasse ne flotte pas nécessairement à la surface.

À venir dans la recherche sur les rorquals communs

Malgré les efforts de recherche, la cause du déclin des rorquals communs dans le nord du golfe est toujours incertaine, ce qui illustre les difficultés d’études particulières au milieu marin. De futurs projets du MICS impliquant des vols de drones permettront d’estimer les taux d’empêtrements et de collisions, des menaces qui pourraient être liées au déclin des rorquals communs. De plus, l’hypothèse des changements environnementaux n’est pas mise de côté et continuera à être étudiée. Anna Schleimer travaillera aussi sur la génétique des rorquals communs du golfe du Saint-Laurent, afin de comprendre s’ils constituent une population à part entière ou s’ils font partie d’une population plus grande.

En savoir plus

  • (2019) Schleimer, A., C. Ramp, S. Plourde, C. Lehoux, R. Sears, P. S. Hammond. Spatio-temporal patterns in fin whale Balaenoptera physalus habitat use in the northern Gulf of St. Lawrence. (Allemagne). Marine Ecology Progress Series 623: 221–234.
Actualité - 14/8/2019

Jeanne Picher-Labrie

Jeanne Picher-Labrie a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 comme rédactrice à Baleines en direct et naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins. Baccalauréat en biologie et formation en journalisme scientifique en poche, elle est de retour en 2021 pour raconter de nouvelles histoires de baleines. En se plongeant dans les études scientifiques, elle tente d’en apprendre toujours plus sur la mystérieuse vie des cétacés.

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