Sur les berges de la Côte-Nord, dans la région de Godbout, un rorqual à bosse de petite taille a été signalé à Urgences Mammifères Marins le 3 mai dernier. La baleine de 9 mètres et de 7,4 tonnes a instantanément intéressé les vétérinaires, les chercheurs et l’équipe du Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM) à Tadoussac, qui renferme une collection unique de squelettes de phoques et de cétacés. En quatre jours seulement, une intervention d’une grande envergure s’est déployée : prélèvements, déplacement de la carcasse sur une centaine de kilomètres, nécropsie et dépeçage ont réuni une grande équipe d’experts et de bénévoles.
De Godbout, le rorqual à bosse a été transporté dans le lieu d’enfouissement technique de Ragueneau, où l’équipe du Réseau canadien pour la santé de la faune, basée à la Faculté de médecine vétérinaire (FMV) de l’Université de Montréal à Saint-Hyacinthe, a procédé à une nécropsie pour déterminer les causes de mortalité et prélever des données importantes sur l’état global de l’animal. Puis, des bénévoles et spécialistes du Groupe de recherche et d’éducation pour les mammifères marins (GREMM) ont dégagé le squelette du corps de la baleine. Cette jeune femelle aura ainsi une deuxième vie : elle rejoindra la collection de squelettes de mammifères marins au CIMM de Tadoussac.
Cause de mortalité et identité inconnues
Toutes les carcasses de baleines échouées sur les rives du Saint-Laurent ne font pas l’objet d’une étude aussi approfondie. Toutefois, lorsqu’un échouage inusité survient, des efforts particuliers peuvent être déployés afin de documenter l’incident. Dans ce cas, comme il s’agit d’un jeune individu, probablement âgé de moins de deux ans, appartenant à une espèce dont les échouages dans le Saint-Laurent sont rares, Stéphane Lair, vétérinaire-conseil du Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins, a saisi l’opportunité et a choisi d’essayer de déterminer la cause de mortalité de cette baleine.
D’après sa taille, il s’agirait d’un individu âgé de 10 à 14 mois, donc né dans les Caraïbes au cours de l’été 2016. De nombreuses balanes étaient présentes sur la peau de cette baleine, ces crustacés qui se fixent sur les rorquals à bosse lors de leur séjour dans les eaux chaudes. Stéphane Lair explique que comme ces balanes se détachent lorsqu’elles sont exposées à l’eau froide, la présence de ces organismes est donc une indication que l’arrivée de cet individu dans l’estuaire du Saint-Laurent était récente. Les jeunes rorquals à bosse sont sevrés du très riche lait de leur mère entre 6 et 10 mois; cette jeune femelle devait donc être récemment sevrée.
Dr Lair explique aussi que l’examen de l’animal n’a pas permis de déceler de lésions significatives, ce qui permet d’exclure la possibilité d’un décès lié à une collision avec un bateau ou à un empêtrement dans un engin de pêche. Ces causes anthropiques sont responsables de plus de la moitié des mortalités chez les jeunes rorquals à bosse échoués sur les côtes nord-américaines. Fait à noter : l’épaisseur de la couche de graisse isolante sous la peau de cette jeune femelle paraissait sous-optimale pour la taille de l’animal. De plus, seule la partie terminale du tube digestif contenait du contenu digéré; ainsi, tout le reste du tube digestif était vide, indiquant que cette baleine ne s’était pas nourrie récemment. Ces observations indiquent que ce rorqual présentait vraisemblablement un déficit calorique important, ce qui aurait pu contribuer à son échouage. Les analyses de laboratoire qui seront réalisées sur les tissus prélevés lors de la nécropsie permettront de mieux comprendre la cause de la mort de ce rorqual à bosse.
Mentionnons qu’un « événement de mortalités inhabituelles » de rorquals à bosse est présentement observé le long de la côte états-unienne; 42 carcasses ont été retrouvées au cours des 16 derniers mois, dont une majorité de jeunes. Des signes de traumatismes (collision avec bateaux) ont été observés sur environ la moitié des rorquals examinés. La cause des autres mortalités reste indéterminée. Selon Stéphane Lair, la mort de cette jeune femelle rorqual à bosse dans l’estuaire pourrait être reliée à cet événement de mortalité inhabituelle le long de la côte est.
Quant à son identification, la femelle ne semble pas connue des chercheurs de la Station de recherche des Iles Mingan (MICS), qui ont développé le catalogue des rorquals à bosses identifiés dans le Saint-Laurent. Les rorquals à bosse ont un patron de coloration sous la queue qui s’apparente à des empreintes digitales et celui du rorqual échoué ne figurait pas parmi les photos.
Dépeçage en un temps record!
Le GREMM s’intéresse aux squelettes de baleines depuis plus de trente ans. Déjà, dans le premier Centre d’interprétation qu’il avait créé en 1988, on pouvait y voir un squelette de rorqual commun qui avait été récupéré à Montmagny et assemblé au prix de bien des efforts! Depuis, leur expertise s’est considérablement développée. Après une fin de semaine de préparation, de coordination de transport, d’achat de matériel et d’installation, une vingtaine de personnes s’est affairée à récupérer, étudier et dépecer la baleine. Grâce aux bénévoles d’Urgences Mammifères Marins, aux membres de l’équipe du GREMM, aux vétérinaires de la FMV et des généreux collaborateurs*, en une journée seulement, la chair a été retirée et les os dégagés!
Les prochaines étapes seront le rapatriement des ossements à la ferme Cinq Étoiles de Sacré-Cœur, avec qui le GREMM a développé un partenariat de longue date pour que les baleines récupérées puissent se décomposer dans un endroit sécuritaire et où un deuxième nettoyage peut être fait dans les mois suivants l’échouage. Le projet de nettoyage et de montage du squelette s’amorcera dès 2017. Le GREMM étudie actuellement différentes stratégies de financement pour donner une deuxième vie à ce rorqual à bosse.
Pour plus d’images de la récupération du rorqual à bosse, visitez l’album photo sur la page Facebook de Baleines en direct.
* Un merci tout spécial à la Fondation de la faune du Québec, au parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, au ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, à la Régie de gestion des matières résiduelles de Manicouagan, à Transport Baie-Comeau et à M. Camille Fortin de Godbout.