Dans le cadre de la Semaine de la culture scientifique, se déroulant du 18 au 24 septembre sous le thème de l’énergie, l’équipe de Baleines en direct s’est penchée sur la conservation de l’énergie et de la chaleur chez les cétacés. Explorons ensemble les diverses adaptations comportementales et physiologiques qui permettent aux cétacés de vivre sous l’eau, parfois glacée, sans jamais ressentir le froid.

Comment en sont-elles capables, tandis que nous devons revêtir de multiples couches pour résister aux basses températures? Et pourquoi choisissent-elles de s’aventurer en eaux glacées, alors que les eaux chaudes du Sud semblent si agréables?

La thermorégulation

Pour comprendre les fonctions de ces adaptations particulières, il faut d’abord se pencher sur le fonctionnement du métabolisme des cétacés. La thermorégulation, c’est l’ensemble des processus permettant à un organisme de maintenir sa température corporelle constante. Chez les baleines, comme chez les humains, cette température avoisine les 37°C. Tous les mammifères sont des organismes endothermes, ce qui signifie qu’ils régulent leur température corporelle par des processus métaboliques leur permettant de produire, de conserver ou de libérer de la chaleur. La thermorégulation repose sur cet équilibre entre les gains et les pertes de chaleur.

La voie métabolique permettant de produire de la chaleur interne, la thermogénèse, bénéficie de l’énergie libérée par les contractions musculaires, lors de déplacements par exemple, et des activités métaboliques des organes pour maintenir la température constante à l’intérieur du corps.

Les pertes et les gains de chaleur sont occasionnés par une différence de température entre la peau de la baleine et son environnement. Lorsque l’environnement – l’eau ou, occasionnellement, l’air – est plus frais que la température cutanée du mammifère, la chaleur se déplace naturellement vers le milieu froid. L’inverse s’applique également lorsque l’environnement – dans ce cas-ci, l’air, lorsque la baleine surgit de l’eau – est plus chaud que la peau de la baleine.

Toutefois, l’énergie dépensée à réchauffer son corps à la suite de pertes de chaleur est de l’énergie qui ne peut être dédiée à d’autres tâches, comme les déplacements, la gestation et les soins parentaux. Ces dépenses énergétiques risquent de coûter la vie à un individu ou à sa progéniture s’il est mal adapté. Chez les baleines, le défi est encore plus grand puisque l’eau est un conducteur thermique bien plus efficace que l’air que l’on respire : sa capacité à conduire la chaleur est 25 fois plus élevée! La chaleur corporelle des mammifères marins se diffuse donc beaucoup plus facilement vers l’eau, souvent glacée comparativement à la température de leur corps. C’est pourquoi ils ont dû développer de nombreuses adaptations afin de minimiser les pertes excessives  de chaleur.

Retenir la chaleur avec son manteau de graisse

Le « blubber » des baleines est une couche épaisse composée de tissus adipeux et de protéines. Ce manteau de graisse facilite leurs déplacements – par sa flexibilité et sa flottabilité qui améliorent leur hydrodynamisme – et leur permet de réguler leur température corporelle en agissant comme isolant thermique. Chez les baleines à fanons, il sert également de réserve d’énergie à l’animal qui passe chaque année de longues semaines sans s’alimenter lors de sa migration.

Les cellules adipeuses composant le “blubber” se gorgent de matière grasse en fonction des besoins énergétiques de l’organisme et de la disponibilité de nourriture. Plus la couche de graisse est épaisse, plus l’organisme peut supporter des températures variées sans avoir à dépenser d’énergie supplémentaire pour se réchauffer.

Cependant, les cétacés séjournant toute l’année en eaux froides, comme le béluga, n’utilisent pas leur « blubber » exactement de la même manière. Ils l’utilisent davantage comme véritable manteau contre la température glaciale. N’ayant pas de période de jeûne prolongée, ces baleines nordiques n’ont pas besoin de puiser dans leurs réserves de lipides.

Diminuer les pertes de chaleur grâce au réseau admirable

Outre leur manteau de graisse, les cétacés possèdent, au niveau de leurs extrémités, un labyrinthe complexe d’artères et de veines, appelé réseau admirable, leur permettant de conserver une chaleur environ égale à travers leur corps, grâce à des échanges de chaleur à contre-courant. Les nageoires pectorales, dorsales et caudales des baleines – seules parties de leur corps ne disposant pas de « blubber » pour les isoler – engendreraient autrement d’importantes pertes de chaleur.

Sous le manteau de lipides se cache également un enchevêtrement de ponts reliant artères et veines permettant de conserver le sang au chaud sous la couche de graisse. Par ailleurs, certains cétacés ont peu ou pas de valves le long de leurs veines, valves qui régulent normalement le débit sanguin. Leur absence facilite ainsi la circulation sanguine et permet l’acheminement rapide du sang aux organes lorsque nécessaire.

Pourquoi emmagasiner de l’énergie?

La majorité des baleines à fanons jeûnent durant les mois de migration vers les sites reproducteurs où elles s’accoupleront et où les femelles mettront bas. Elles ont donc besoin d’énergie pour accomplir ce long périple, énergie qu’elles prélèveront de leur manteau de graisse. Certaines femelles privilégiées devront également subvenir aux besoins énergétiques de leur veau qui traversera les océans à leur côté. Leurs réserves de graisse serviront – en plus de substituer à leur source d’énergie habituelle – à produire un lait maternel riche en lipides pour le baleineau.

Pourquoi migrer?

Malgré le fait que les baleines puissent également se nourrir dans les eaux tropicales, ces dernières contiennent significativement moins de krill et d’autres proies de choix que les eaux du Nord, qui, une fois l’été installé, foisonnent d’essaims grâce aux blooms estivaux. Il leur serait donc plus coûteux énergétiquement de se nourrir sur leur site d’hivernage. En effet, l’énergie requise pour trouver et ingérer leur repas surpasserait le faible gain énergétique que rapporterait ce dernier. Ultimement, il est donc plus efficace pour les baleines de voyager des semaines à travers les océans pour rejoindre des eaux froides grouillantes de bancs de proies, afin de s’y empiffrer.

 De plus, les baleines à fanons doivent migrer vers des eaux plus chaudes en hiver, malgré qu’elles contiennent une moindre quantité de nourriture, pour permettre aux veaux naissants de rester au chaud. Leur couche de graisse étant plus mince, ces derniers sont plus susceptibles aux pertes de chaleur en eaux froides.

Pour les baleines, l’énergie n’a pas de prix. C’est une ressource inestimable pour s’épanouir dans un milieu aussi inhospitalier. La véritable clé de leur succès réside donc dans la conservation de cette précieuse énergie en maximisant la rentabilité de leurs dépenses énergétiques.

Les baleines en questions - 21/9/2023

Emmanuelle Langlois

Emmanuelle Langlois rejoint l’équipe du GREMM en tant que rédactrice scientifique à l’automne 2023. Fascinée par les curiosités du monde aquatique, elle est attirée par l’immensité des écosystèmes marins depuis son enfance, époque où tous les étés elle partageait cet amour avec sa famille sur la plage. Au terme de ses études, elle souhaite dédier sa carrière à étudier et à raconter les mystères des êtres dissimulés sous la surface.

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