Les mathématiques, une science parfois aimée, parfois détestée lors du parcours scolaire, peuvent parfois avoir des applications inusitées. Dans le cadre de la Semaine de la culture scientifique 2022 qui se déroulait du 19 au 25 septembre, et qui avait pour thème les mathématiques, il est à se demander à quoi peut servir cette science dans l’étude des baleines.
À cet effet, les chercheurs étudiant les baleines utilisent les mathématiques dans le cadre de tous leurs projets de recherche, mais encore davantage dans le cadre de celui dont il est question ici. La longueur des baleines, autrefois mesurée exclusivement lorsqu’elles s’échouaient ou qu’elles étaient tuées à des fins scientifiques, peut maintenant être calculée de leur vivant, et ce dans leur milieu naturel grâce à la photogrammétrie. Cette méthode permet de mesurer les baleines, ce qui illustre éventuellement leur état de santé.
Un projet qui vole haut
Le projet de photogrammétrie du GREMM a débuté en 2018. L’objectif est d’observer si les bélugas du Saint-Laurent, sont en bonne condition physique ou plutôt maigres. Des données sont récoltées afin de voir l’évolution annuelle, soit en début, milieu et fin d’été, des réserves d’énergie des bélugas. Les résultats sont aussi comparés sur plusieurs années.
Un nouveau projet s’est ajouté récemment : les chercheurs s’intéressent aux femelles qui reviennent chaque année dans la Baie Sainte-Marguerite du parc national du Fjord-du-Saguenay et à Cacouna. Ces femelles béluga sont essentielles à la survie de l’espèce, et le projet permet de faire un suivi de cet indicateur de santé, explique Alexandre Bernier-Graveline, co-responsable de projet au GREMM.
Une étape à la fois
La photogrammétrie implique la prise de vidéos à l’aide d’un drone, le tout permettant de calculer ensuite les mensurations (la longueur totale et de multiples mesures) des baleines observées. Cette méthode pourrait également permettre de détecter si les femelles sont en période de gestation ainsi que d’emmagasiner des données sur les conditions physiques et réserves énergétiques de ces femelles gestantes.
Cette vidéo illustre un vol de drone permettant la collecte de données pour les mesures photogrammétriques. Des images sont extraites des vidéos prises par la caméra du drone.
La trigonométrie, un concept de base des mathématiques, permet de déterminer des mesures et des angles inconnus à partir de certains d’entre eux. La première mesure obtenue vient d’un télémètre (range finder) qui est apposé sur le drone. Le télémètre émet plusieurs faisceaux laser par seconde, ces derniers seront renvoyés vers un capteur sur l’appareil. Le temps qui s’est écoulé pendant le transfert du rayon lumineux est transposé en distance (distance caméra-centre de l’image).
Une autre donnée de base nécessaire est obtenue avec un « contrôle », un carton noir et blanc déposé sur le plancher du bateau de recherche. Il s’agit d’un objet de taille connue qui permet de vérifier que les équipements utilisés sont précis.
Les images des vidéos sont ensuite extraites afin d’obtenir l’image la plus facile à mesurer, soit un béluga à la surface de l’eau, bien droit et le moins courbé possible. Des traits sont alors tracés sur l’image dans un logiciel. La distance entre l’évent et le point le plus étroit du pédoncule, ce qui représente environ 90% de la longueur totale d’un béluga, est mesurée, suivie de multiples mesures de largeur. La raison de cette première mesure partielle est simple : « quand les bélugas nagent, la tête replonge très rapidement sous l’eau et la queue est très basse, ce qui fait en sorte qu’il est difficile d’avoir une image de béluga avec la tête, le corps et la nageoire caudale au même niveau », précise Alexandre Bernier-Graveline. La longueur totale, de l’extrémité de la tête jusqu’au bout de la nageoire caudale, est seulement mesurée si le béluga est en position parfaite, c’est-à-dire qu’il est complètement à plat.
Le logiciel calcule les mensurations d’un béluga à partir du nombre de pixels séparant un point A d’un point B. Ce nombre est ensuite converti en une distance réelle, à l’aide de plusieurs variables, dont la distance entre le drone et le béluga obtenue par le télémètre.
Jongler avec les données
Une autre branche des mathématiques est utilisée pour ces études, soit la statistique. Il s’agit d’une étape importante de la recherche, puisqu’elle permet d’analyser les données et aide grandement à les interpréter dans l’ensemble. Sans les statistiques, il serait très difficile de comparer rigoureusement les milliers de données amassées chaque année.
Avoir conscience des limites
Comme toute science, la photogrammétrie a des limites et des sources d’erreur. Les équipements utilisés ont un niveau de précision limité. Il est ainsi important de les utiliser adéquatement, et de compenser ces imprécisions au besoin, afin d’obtenir des données fiables. Notamment, le télémètre doit être attaché à une suspension pour amortir les mouvements brusques du drone.
En outre, la présence de vagues et de remous dans l’eau est prise en compte lors de l’analyse des images, puisqu’elle peut rendre plus difficile le placement des points autour du béluga. Plusieurs autres informations doivent être prises en considération afin d’assurer la plus grande rigueur scientifique lorsque les mesures entre plusieurs bélugas sont comparées. Pour y arriver, une cote de qualité est attribuée à chacune des photos qui prendra en compte la présence de remous et de vagues qui peuvent rendre plus difficile la prise de mesures ainsi que la posture du béluga sur l’image. La règle de base est que chaque béluga doit avoir percé la surface de l’eau et être le plus droit possible afin d’obtenir des mesures convenables.
Les chercheurs étudiant les baleines mettent à profit des connaissances en mathématiques pour mieux comprendre ces mammifères encore mystérieux. Les programmes de recherches, alliant différentes façades de la science, mènent à de nouvelles découvertes qui permettent de protéger ces espèces.
Trigonométrie, algèbre, géométrie… Les notions en mathématiques apprises à l’école s’avèrent utiles dans plusieurs domaines d’étude, et ce de façon parfois inusitée. Il faut ainsi apprécier cette science qui influence grandement notre quotidien!