Deux grands rorquals ont suscité l’enthousiasme cette semaine: un rorqual à bosse dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent et un rorqual bleu au large de Sept-Îles. Du côté de la Gaspésie, «l’eau est bleue comme l’été», souligne un observateur, «mais sans la vie qui vient avec».
Une grande queue!
La première mention du rorqual à bosse provient des matelots du traversier reliant Baie-Sainte-Catherine à Tadoussac, qui s’étonnent de voir ce splendide animal en plein hiver le 13 février. Le lendemain, tandis qu’il neige, un rorqual à bosse (le même? un autre? on ne le sait pas) nage devant la Station de contrôle du trafic maritime aux Escoumins. Les employés ont de quoi célébrer de travailler un dimanche, alors que le rorqual à bosse passe près du rivage, respirant plusieurs fois en surface avant de plonger en levant la queue.
Les observations de rorquals à bosse sont peu fréquentes dans le Saint-Laurent durant l’hiver. Cette espèce se trouve habituellement à cette période de l’année dans les aires de reproduction dans les Caraïbes. Ainsi, un troisième rorqual à bosse fréquentant le golfe du Saint-Laurent durant la saison estivale, H912, a été photographié dans la baie de Samana, en République dominicaine, cette semaine. Un peu plus tôt, Aramis et Fleuret avaient aussi été photographiées dans ce secteur.
Que fait donc un rorqual à bosse dans les eaux glaciales de l’estuaire? Est-il un retardataire? Un arrivé trop tôt? Un individu non reproducteur qui décide de profiter de la nourriture sans trop de compétition? L’hiver, le suivi des baleines sur le Saint-Laurent est en pause, alors la baleine à bosse poursuivra son périple en nous laissant avec nos questions… À moins que quelqu’un ne parvienne à la photographier de la rive!
Du blanc plutôt que du noir
Le 15 février, Renaud Pintiaux s’élance sur les rochers avec cet objectif. Il s’arme de patience et de bonne compagnie pour scruter le large en plein hiver. Finalement, ce n’est pas un grand rorqual qu’il observe, mais bien un troupeau d’une dizaine de bélugas qui passe devant le cap de Bon-Désir. Il photographie quelques baleines blanches et transmet les images à l’équipe responsable de la photo-identification des bélugas au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins. Peut-être que les yeux aiguisés de l’équipe parviendront à identifier qui sont ces bélugas!
Pour ce faire, l’équipe regardera les encoches dans la crête dorsale, la présence de cicatrices ou de taches sur le flanc du béluga. Chaque marque sera entrée dans un système informatique, qui créera une sorte de code-barre du béluga. Puis, ce code-barre sera comparé à celui des bélugas déjà présents au catalogue. Le logiciel proposera alors des identifications, qu’il faut valider à l’œil humain. Ce système n’est pas parfait: le tiers des identifications se fera avec les 25 premières propositions. Pour les deux autres tiers, il faudra fouiller plus longtemps pour trouver qui est sur la photo.
Pourquoi investir autant d’énergie pour savoir s’il s’agit de DL9104, de Mirapakon ou de Gaston? La photo-identification permet de documenter l’histoire individuelle des bélugas, mais aussi de la population. Grâce à cette technique, par exemple, on comprend que les bélugas mâles du Saint-Laurent se regroupent en trois communautés distinctes qui ont peu de contact entre elles et qui utilisent des territoires différents. On a aussi découvert que les mâles développent des relations durables avec d’autres mâles. Ces informations peuvent avoir de fortes incidences sur l’efficacité des mesures de conservation. Ainsi, en prenant en compte les préférences individuelles des bélugas, l’équipe du GREMM et de l’Université du Québec en Outaouais a pu constater que près des deux tiers des femelles bélugas fréquentent le Saguenay au moins une fois durant l’été.
Et un peu de bleu
Les préférences individuelles pourraient aussi expliquer la présence d’un grand rorqual au large de Sept-Îles, où d’immenses souffles pointent à l’horizon. Jacques Gélineau scrute ce secteur depuis des années, et il note à cette période les passages fréquents d’un rorqual bleu. Il a la suspicion que ce serait le même individu qui reviendrait année après année, mais sans pouvoir le confirmer, vu la distance de l’animal qui l’empêche de le prendre en photo. Les grands souffles au large vus cette semaine appartenaient-ils à ce rorqual bleu?
C’est la frustration des scientifiques. L’hiver, il faut traiter les milliers de données accumulées durant la belle saison et celles précédentes. Patiemment, ils et elles en apprennent plus sur les individus et les espèces qui fréquentent le Saint-Laurent. Mais le large, déjà, les appelle.