Une réponse de Véronique Lesage, Pêches et Océans Canada
Une petite mise en contexte d’abord. Les baleines noires de l’Atlantique ont été décimées par la chasse et ne comptaient qu’un peu plus de 300 individus il y a quelques décennies. Suite à de bonnes années de recrutement, on estime maintenant cette population à environ 500 individus.

Les baleines noires migrent chaque année vers les eaux plus chaudes de la Floride et de la Géorgie pour se reproduire, et se trouvent à nos latitudes l’été pour s’alimenter intensément. Mais voilà qu’environ un tiers de la population recensée dans les aires de reproduction est introuvable dans les aires d’alimentation connues (baie de Fundy, golfe du Maine, au large de la Nouvelle-Écosse et de Cape Cod). On soupçonne le golfe du Saint-Laurent d’être une aire d’alimentation pour la portion manquante de cette population, mais les observations y sont rares, habituellement de l’ordre de quelques individus par année.

Depuis le mois de juin 2015, le nombre d’observations de baleines noires semble anormalement élevé dans le golfe du Saint-Laurent. Mais pour bien interpréter ces résultats, il faut d’abord s’assurer d’éliminer les biais possibles qui peuvent survenir à travers des efforts d’observations non habituels ou non récurrents. Par exemple, les 7 et 8 août derniers, une équipe de la NOAA, qui effectuait un relevé aérien dans le golfe a pu observer environ 25 baleines noires à quelque 35 milles nautiques au large de Miscou, Nouveau-Brunswick. À moins que ces bêtes soient rapportées par des sources plus récurrentes (pêcheurs, industrie d’observation, patrouilles du MPO), ces observations compteront parmi les efforts inhabituels puisqu’effectués seulement cette année et loin des côtes. Il est en effet possible que des baleines noires occupent chaque année ce secteur, mais qu’elles passent inaperçues simplement parce que personne ne s’aventure aussi loin au large. Néanmoins, même en éliminant les efforts d’observations inhabituels, il demeure que le nombre de baleines noires observées cette année dans le golfe (13 cas) est plus élevé qu’à l’habituel. Fait inquiétant également, déjà 3 baleines noires ont été retrouvées mortes cette année dans le golfe du Saint-Laurent, ce qui dépasse la moyenne annuelle de 2.6 individus. Ceci est sans compter les carcasses que l’on retrouvera sur la côte est des États-Unis.

Bien que nous ne puissions pas écarter la possibilité que ces observations plus nombreuses dans le golfe soient liées à l’augmentation de la population, des indices nous laissent plutôt croire que la cause est tout autre. Depuis quelques années, des fluctuations importantes ont été notées dans le nombre de baleines noires observées dans les aires traditionnelles d’alimentation. Cette année, par exemple, peu de baleines noires ont été observées dans le bassin Roseway (environ 30 milles nautiques au large de la Nouvelle-Écosse). Les données recueillies par Pêches et Océans Canada et analysées par l’un de ses chercheurs, Stéphane Plourde, pointent vers une diminution depuis quelques années de l’abondance de la nourriture des baleines noires, les copépodes, sur le plateau néo-écossais et l’ensemble des autres aires que cette population fréquente habituellement.

Le fait que les animaux cherchent de la nourriture ailleurs que dans les aires habituelles d’alimentation n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Les trois mortalités rapportées cette année dans le golfe du Saint-Laurent pourraient-elles résulter d’une mauvaise condition physique? Selon les données préliminaires recueillies par la NOAA et transmises à la chercheuse Moira Brown (New England Aquarium), les animaux observés dans le golfe ne semblaient pas en mauvaise condition. La question qui demeure est: qu’en est-il du 95% de la population qui n’a pas été vu dans le golfe? Et faisons-nous face à une tendance lourde, qui pourrait s’accentuer avec la poursuite des variations et du réchauffement du climat?

À travers divers projets, les chercheurs de Pêches et Océans Canada travaillent à élucider l’importance du golfe du Saint-Laurent pour la population de baleines noires de l’Atlantique. Ces travaux visent à identifier les endroits que fréquentent les baleines noires, à caractériser les endroits où s’accumule leur nourriture et à cerner les besoins énergétiques des baleines noires afin de mieux comprendre l’attrait actuel du golfe pour cette espèce en voie de disparition, et son évolution probable avec le changement du climat.

Actualité - 20/8/2015

Équipe du GREMM

Dirigée par Robert Michaud, directeur scientifique, l’équipe de recherche du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) étudie en mer les bélugas du Saint-Laurent et les grands rorquals (rorqual à bosse, rorqual bleu et rorqual commun). Le Bleuvet et le BpJAM quittent chaque matin le port de Tadoussac pour récolter de précieuses informations sur la vie des baleines de l’estuaire du Saint-Laurent.

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