Dans une immensité bleue et mouvante, une silhouette longue et élancée s’élève doucement à la surface de l’eau. Une traine de longs filaments dorés s’y enroule et retombe en cascade sur les flots entourant cette étrange créature des profondeurs. Le manège se répète, la chevelure ambrée reluisant sous les doux rayons de soleil à chaque mouvement de la nageoire pectorale de la baleine. Quelques minutes plus tard, c’est au tour de la tête de l’animal de se mouvoir entre les algues de teinte cuivrée.

Comportement mystérieux, le kelping – action d’un animal interagissant avec des algues – intrigue les scientifiques depuis des années déjà. Serait-ce un jeu, une façon de stimuler les sens, un moyen de se débarrasser de parasites indésirables ou simplement une astuce pour avoir la peau douce? Il semblerait que toutes ces réponses soient valides!

Des scientifiques de l’Université de Griffith, en Australie, ont récemment analysé près d’une centaine de vidéos et de photos de rorquals à bosse s’enroulant et jouant dans les algues, de 2007 jusqu’à aujourd’hui. Quatre populations ont été répertoriées dans ces images : celles des hémisphères nord et sud de l’océan Pacifique nord-est, celle de l’Atlantique Nord et celle des côtes est et ouest de l’Australie. L’analyse de leurs comportements a permis de tirer des conclusions étonnantes!

Entre jeu et stimulation sensorielle

Dans les vidéos analysées par les scientifiques, le rostre était la partie du corps de la baleine la plus régulièrement en contact avec les algues. Elle était suivie par la section entre les nageoires pectorales et la nageoire dorsale, puis par la zone entre la dorsale et la nageoire caudale. L’équipe de recherche a aussi noté qu’à chaque occurrence, les baleines semblaient agir activement pour maintenir les algues en position sur ces sections de leur corps. Mais pourquoi tant d’efforts pour garder des algues au-dessus d’elles?

On retrouve sur le rostre des rorquals à bosse de petites masses, appelées follicules, contenant chacune un poil. Outils sensoriels chez la plupart des mammifères, les poils des baleines ne font pas exception : 300 à 400 nerfs se trouveraient dans chacun de ces follicules! Ces masses pourraient même avoir un rôle dans la détection du plancton, d’après certaines études. Pour les rorquals à bosse, maintenir des algues sur leur tête serait donc un geste volontaire, ou en d’autres mots, une manière intentionnelle de stimuler leurs sens!

Par ailleurs, des études ont démontré que les rorquals à bosse, comme d’autres espèces de cétacés, « jouent » parfois avec des morceaux de bois, des cordes ou encore des méduses. Ils pourraient aussi interagir avec d’autres animaux, comme des dauphins et des phoques. Mais avant d’être qualifié de « jeu », le comportement d’un animal doit répondre à plusieurs critères : être volontaire et sembler agréable, diverger des comportements plus sérieux observés habituellement et prendre place quand l’animal n’apparait pas stressé ni affamé. D’après cette définition, interagir avec des algues serait ainsi une forme de jeu et démontrerait que les rorquals à bosse sont capables d’interactions complexes avec leur environnement : autant pour s’amuser que pour stimuler leurs sens!

Au revoir les parasites, bonjour la peau douce!

Pour un rorqual à bosse, jouer dans les algues serait également un fabuleux moyen pour garder sa peau en santé. Pourquoi? Parce que de vastes utilités sont attribuées aux algues!

Contenant une importante quantité de composés bioactifs, les algues – surtout les algues brunes – pourraient contribuer à libérer la peau des rorquals à bosse des bactéries qui s’y établissent. La peau des rorquals à bosse est effectivement un endroit de choix pour plusieurs bactéries qui s’établissent sur le rostre et les nageoires pectorales, dorsale et caudale. Entretenir un contact prolongé avec des algues dans ces zones serait donc bénéfique pour la baleine, car une prolifération de bactéries peut entrainer des risques d’infections de la peau.

Outre les bactéries, de nombreux parasites font des baleines leur moyen de transport, comme les diatomés, de petites algues microscopiques, ou encore une espèce de crustacé appelé balane. Encore une fois, les algues joueraient un rôle clé dans leur retrait. L’influence des algues sur la présence de bactéries et parasites reste toutefois à étudier davantage.

Des baleines vedettes

Qui aurait cru que l’avènement puis l’omniprésence dans nos vies des réseaux sociaux contribuerait à la recherche scientifique sur les baleines? Et oui, tenez-vous bien : toutes les vidéos étudiées par les scientifiques de l’Université de Griffith, provenaient de plateformes en ligne, comme Facebook, Instagram et Flickr! Comportement difficile à documenter, le kelping était tout désigné pour être étudié via les médias sociaux.

D’autres études ont auparavant utilisé les réseaux sociaux pour étudier des espèces rares et des comportements moins fréquents et il s’est avéré que les résultats étaient plutôt fiables. Néanmoins, la majorité des publications faites sur l’une ou l’autre de ces plateformes en ligne proviennent de pays où les réseaux sociaux sont grandement utilisés, entrainant un certain biais dans la collecte de données.

Les scientifiques affirment toutefois que ce type de récolte d’informations ne remplacera jamais la véritable méthode scientifique, bien qu’elle soit utile dans des cas où la quantité d’information est limitée. Néanmoins, il est important de se rappeler que les tentatives d’approches sont réglementées et souvent interdites dans certaines régions à travers le monde, notamment pour ce qui est de l’utilisation de drones. Informez-vous avant de faire d’une baleine une star en mettant en péril sa sécurité – et la vôtre!

Les baleines en questions - 9/1/2024

Odélie Brouillette

Odélie Brouillette s’est jointe à l’équipe du GREMM comme rédactrice et naturaliste en 2022 et elle est de retour depuis l'hiver 2023 comme chargée de projet en vulgarisation scientifique. Biologiste de formation, elle aime apprendre et communiquer aux autres ce qui lui tient à cœur. Fascinée depuis toujours par les milieux marins et les baleines, elle souhaite, par la sensibilisation et la vulgarisation, contribuer à leur protection.

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