Dans de nombreux endroits dans le monde, des organismes d’écotourisme offrent la possibilité de nager avec des mammifères marins. Qu’il s’agisse des dauphins à Cuba, des lamantins en Floride, des petits rorquals en Australie ou encore des baleines à bosse en Polynésie, ces excursions ont de quoi faire rêver les passionnés de faune marine.

Au Canada, la règlementation est stricte à ce sujet. Si les croisières d’observation sont autorisées – avec des vitesses et des distances de sécurité imposées – les activités de nourrissage, d’approche et de plongée avec les mammifères marins sont, elles, interdites depuis 2018. Cette règlementation n’est pas valable dans le monde entier, aussi peut-être avez-vous envie de vous laisser tenter lors d’un voyage à l’étranger. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Vous vous en doutez probablement, cette activité qui fascine tant les humains génère un dérangement non négligeable pour les cétacés.

Des changements à court et moyen termes

Pour évaluer ce dérangement, les scientifiques ont réalisé de nombreuses études. Quelles que soient l’espèce et la zone géographique étudiées, les résultats sont assez unanimes: les mammifères marins modifient leur comportement face à l’approche des touristes. Aux Açores, par exemple, où trois espèces de dauphins (grand dauphin, dauphin commun à bec court, dauphin tacheté de l’Atlantique) sont régulièrement sollicitées, des chercheurs ont montré que la réponse des cétacés à l’approche des bateaux était prioritairement l’évitement, par opposition à une réaction neutre ou à une approche curieuse.

Une tendance qui se confirme et s’intensifie sur le long terme. Ainsi, à Port Philip, en Australie, où le tourisme de nage avec les dauphins existe depuis plus d’une quinzaine d’années, des études ont montré une sensibilité croissante aux perturbations. Le succès de l’observation et la durée moyenne des rencontres ont tous deux diminué, tandis que les comportements d’évitement ont largement augmenté.

Moins de repos, plus de déplacement

En Australie occidentale comme aux iles Tonga, les rorquals à bosses cherchent à éviter les bateaux qui leur coupent la route pour déverser des nageurs dans l’eau. Elles plongent davantage, mais moins longtemps, modifient leurs trajets, changent de trajectoire abruptement, etc.

Ces modifications de comportement ne sont pas anodines. Le temps passé pour éviter les touristes l’est au détriment d’autres comportements essentiels. Par exemple, en réponse aux tentatives de nage avec elles, les baleines franches australes de la Peninsula Valdes, en Argentine, ont montré des changements significatifs dans leur budget comportemental quotidien : elles ont passé moins de temps à se reposer et à socialiser, et plus de temps à voyager, entrainant des dépenses énergétiques supplémentaires.

Dans les iles du Pacifique, cette modification comportementale est particulièrement inquiétante. Autour de l’archipel de Vava’u, les rorquals à bosse du Pacifique viennent pour mettre bas et pour élever leurs petits. Il s’agit d’une période critique, pendant laquelle le veau doit emmagasiner suffisamment d’énergie et de compétences pour entreprendre sa migration vers les eaux froides dès le printemps. Or, les observations montrent que, sous la pression des bateaux et des nageurs, le duo mère-veau, particulièrement ciblé, passe moins de temps à l’allaitement et au repos, mais double son temps de déplacement. L’étude note également que, en réponse à ces interactions forcées et en présence de baleineaux, le comportement de certains rorquals à bosse peut être dangereux pour les nageurs.

À terme, les cétacés ont tendance à délaisser les zones perturbées par les humains. C’est en tout cas ce qui s’est passé à Shark Bay, en Australie, où l’intensification du tourisme a contribué au déclin de la population locale de grands dauphins. « Bien que cette tendance ne mette pas en péril la population de grands dauphins […], un déclin similaire serait dévastateur pour les petites populations de cétacés fermées, résidentes ou menacées », souligne l’étude.

Dérangés en permanence, harcelés par les bateaux et incapables de se reposer ou se nourrir tranquillement, certains cétacés pourraient bien être obligés d’éviter certaines zones, comme des baies calmes et peu profondes, pourtant idéales pour le repos ou la mise bas.

L'écotourisme peut-il changer les mentalités et appuyer la conservation marine ?

C’est l’un des arguments en faveur des activités d’écotourisme comme la nage avec les cétacés. Et en effet, dans de nombreux pays, le tourisme lié à la faune sauvage a offert une alternative économique viable aux activités de chasse et d’exploitation des ressources naturelles.

Aux Philippines, par exemple, la perception des requins a changé depuis l’apparition de l’activité «nager avec les requins-baleines». «Avant l’introduction des activités touristiques, la plupart des habitants admettaient avoir fait du mal aux requins en les frappant avec des pierres, des harpons, des pagaies, de la dynamite ou en les chevauchant», souligne une étude menée par l’Université de Victoria, au Canada. Désormais, les populations locales ont davantage à cœur la conservation des requins et de l’écosystème marin en général.

Cependant, cet impact est à nuancer. Les résultats montrent que ce changement de mentalité est plus fort dans les communautés recevant du tourisme à petite échelle, et est moindre dans les zones sujettes au tourisme de masse. Le tourisme de masse encourage également des comportements de harcèlement et de non-respect des règlementations (distance, forme d’approche, temps passé, etc.) et augmente la pression quotidienne sur les cétacés. N’oubliez pas que ce moment magique qui dure 20 minutes pour vous est multiplié par le nombre de touristes présents ce jour-là pour le dauphin ou la baleine.

Le mieux reste donc de garder vos distances avec les dauphins et les baleines, et de prendre plaisir à les observer depuis un bateau ou un site d’observation dédié sur la rive. Vous contribuerez ainsi à les protéger et à respecter leur rythme de vie.

Les baleines en questions - 22/5/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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