Des citoyens et citoyennes engagés ont pu mener à une avancée scientifique de taille! En 2021, Mathieu Marzelière et Laurence Tremblay, deux membres de l’équipe du GREMM, ont participé de manière indépendante à la mise en place de l’expédition scientifique GLACIALIS aux Açores. À bord du voilier ATLAS, ce groupe de citoyens et citoyennes internationaux, composé de spécialistes de domaines variés, a mené durant cinq mois une expédition jusqu’à l’ouest du Groenland. L’objectif derrière cette aventure : construire une micro-plateforme de recherche mobile, recueillir des données et étudier des zones reculées.
L’expédition se composait de divers projets de recherche, de l’analyse des microplastiques en passant par l’étude des ichtyoplanctons et l’ADN environnemental pour n’en nommer que quelques-uns. Une mine d’or pour l’analyse de données! L’un des volets concernait la photo-identification de grands rorquals dans le but d’apparier les individus avec les catalogues de différents groupes de recherche dans l’Atlantique Nord.
Cap sur les rorquals à bosse
Au cours de 125 jours, l’expédition a parcouru 11 400 km et observé un total de 2200 mammifères marins,. Parmi les 44 rorquals à bosse qui se sont rendus dans les eaux de l’ouest du Groenland, 28 ont pu être identifiés, mais un individu s’est démarqué… et a chambranlé des notions jusqu’alors bien établies.
Avant de vous en dire plus, un petit récapitulatif s’impose. Les rorquals à bosse de l’Atlantique Nord possèdent diverses aires d’alimentation et de reproduction. Étudiées depuis des décennies, les routes migratoires des populations de l’Atlantique Nord sont bien connues, et démontrent la fidélité des individus à leurs zones de reproduction et d’alimentation. Les rorquals dont les aires d’alimentations se situent dans l’ouest du Groenland, par exemple, proviennent des aires de reproduction située dans l’ouest de l’Atlantique. Celles qui se retrouvent sur les aires d’alimentation de l’est, celles de Norvège et d’Islande, sont reliées à toutes les aires de reproduction de l’Atlantique Nord, incluant les îles du Cap Vert.
Revenons à notre rorqual mystère. Le 4 juillet, l’équipe photographie un rorqual à bosse qui est déjà connu. Il s’agit d’un rorqual qui appartient au catalogue de la population du Cap Vert! Photographié pour la première et dernière fois en 1999, cet individu ne fut plus jamais revu – du moins officiellement – avant 2021, soit 22 ans plus tard! Surprise et étonnement parmi les scientifiques, mais aussi un soupçon d’inquiétude.
Les rorquals à bosse du Cap Vert
Considérés comme les rorquals à bosse parmi les plus en danger au monde avec environ 300 individus, cette population ne semble pas s’être remise des effets dévastateurs de la chasse intensive commerciale, contrairement à d’autres populations de l’espèce. L’espèce est classée comme non préoccupante par l’UICN du fait de son rétablissement et on estime qu’entre 11 000 et 15 000 rorquals à bosse fréquentent les eaux de l’Atlantique nord.
Implication de cette découverte
Un article scientifique publié par Valérie Chosson présente cette nouvelle découverte. Selon l’article, l’identification de NA04936 est la première confirmation d’un mouvement migratoire entre Cap Vert et l’ouest du Groenland! Sachant que les communautés autochtones du territoire sont autorisées à pratiquer une chasse de subsistance avec 10 rorquals à bosse par an, cela pose un risque au rétablissement de cette population fragile.
Entre 1984 et 2007, la population du Groenland augmentait de 9,4% annuellement. En 2024, le Greenland Institute of National Ressources, avait 466 individus identifiés dans son catalogue. Néanmoins, l’ouest du Groenland voit une diminution dans le nombre de rorquals à bosse, qui se déplacent maintenant dans une nouvelle aire d’alimentation à l’est du territoire. Cela augmente la probabilité qu’un individu soit chassé dans l’ouest!
Un air de déjà-vu dans le Saint-Laurent
Un an plus tôt, Mathieu, alors assistant de recherche au GREMM, croise un rorqual à bosse qui lui semble familier sur les réseaux sociaux. Grâce à une photo publiée en 2019, il identifie l’individu grâce au catalogue de l’Observatoire des mammifères marins de l’archipel guadeloupéen (Ommag), avec la confirmation du président de l’Ommag Laurent Bouveret. Ainsi, H930 fut surnommée Guadeloupe. Comme pour notre individu du Cap Vert, ce «match» a de quoi surprendre, car sur les 462 individus du catalogue de l’Ommag, seulement 3 ont été identifiés au Canada. En effet, la plupart des rorquals à bosse du Saint-Laurent passent l’hiver en République dominicaine alors que ceux de la Guadeloupe privilégient plutôt les eaux de la Norvège ou de l’Islande. Les rorquals à bosse seraient-ils plus aventuriers qu’on le pense? Le futur nous le dira!
La richesse du partage des données
Initié par Virginie Wys et Mathieu Marzelière, l’expédition de 2021 a redéfini notre compréhension des migrations de rorquals à bosse, mettant en lien l’ouest du Groenland et le Cap Vert. Au-delà des implications pour la conservation et la gestion de la population du Cap Vert, cette avancée met en lumière la grande importance de la science citoyenne pour la conservation et pour les scientifiques. Au cours de cette expédition, trois matchs de rorquals à bosse ont été effectués.
L’expédition GLACIALIS renforce l’idée que la science peut, et doit, être un travail de collaboration. Cette expédition a été rendue possible avec l’aide d’un financement participatif, et l’implication totale du Capitaine Arnaud Conne de Atlas Expedition, qui a aussi mis à disposition son voilier. Les citoyens qui ont soutenu ce projet indépendant ont aussi eu un rôle important et leur implication a permis de faire avancer la science. De plus, les données collectées ont été gratuitement, et ouvertement partagées avec des équipes de scientifiques internationaux. Le partage de données avec d’autres centres de recherche, mais aussi avec le public, est avant tout un enrichissement.
Les différents projets et de techniques sur cette plateforme de recherche avaient un même objectif : identifier les lieux importants pour les mammifères marins en vue de protéger ces espaces face à l’utilisation grandissante de l’Arctique. GLACIALIS, comme d’autres expéditions de ce type, a ajouté sa pierre à l’édifice.
Du 15 au 19 octobre 2025, le Congrès mondial des baleines à bosse aura lieu à Tadoussac. Apprenez-en plus ici.