À la suite de notre discussion sur le biais humain dans l’étude de l’intelligence animale, explorons dans cette deuxième partie les différentes formes que peut prendre cette intelligence, tout en gardant en tête qu’elles peuvent être cumulatives. Plutôt que de comparer ces formes d’intelligence à celle des humains, il est essentiel de les apprécier pour ce qu’elles sont – des solutions créatives et adaptatives élaborées au fil de millions d’années d’évolution.

Une intelligence adaptée aux besoins de l'espèce

Mentionnons d’abord l’intelligence sociale, qui favorise les interactions entre les membres d’un groupe social complexe. Chez les cétacés, les baleines à dents sont des espèces qui ont développé des compétences de communication extraordinaires. Elles sont en mesure de tisser des liens entre les membres de leur groupe, de se reconnaître entre elles et de coopérer pour résoudre des problèmes.

Un exemple intéressant de cette forme d’intelligence est celui de Old Thom, un épaulard qui, contrairement aux comportements habituels de ses semblables, voyage seul. Ce qui étonne, c’est qu’il est connu pour nager aux côtés de dauphins à flancs blancs, avec lesquels il serait même en mesure de communiquer! En effet, des chercheurs et chercheuses ont réalisé que certains épaulards exposés à des dauphins pendant une assez longue période de temps étaient aptes à décoder leur langage, composé de cliquetis et de sifflements de haute fréquence. Certains animaux ont donc la capacité d’apprendre le langage d’autres espèces. Fascinant, non?

D’autres espèces ont quant à elles développé des adaptations en fonction des longs voyages qu’elles doivent effectuer chaque année, lors des migrations saisonnières. C’est ce qu’on pourrait appeler l’intelligence spatiale, qui s’exprime par une grande habileté de navigation et d’orientation spatiale. Par exemple, certains oiseaux, comme les pigeons, ont la capacité de détecter le champ magnétique terrestre, ce qui leur permet de s’orienter lors de leurs migrations et de retrouver leur lieu de nidification après avoir été relâchés à des distances considérables de leur point de départ. Bien que les preuves manquent pour le confirmer, les scientifiques pensent que certaines espèces de baleines pourraient elles aussi détecter le champ magnétique de la Terre, notamment les rorquals à bosse et les baleines grises. Elles posséderaient en effet une concentration élevée de magnétite dans leurs oreilles internes, un minéral magnétique sensible au champ magnétique terrestre.

Certaines espèces animales comme les singes, certains oiseaux et les humains vont utiliser des outils pour atteindre un objet spécifique ou résoudre un problème, ce qu’on appelle l’intelligence tool use. Par exemple, certains singes vont se servir d’un morceau de bois pour extraire des insectes d’un tronc d’arbre et des dauphins vont parfois utiliser des éponges pour se protéger le rostre lors de la recherche de proies à travers les coraux. Quant à lui, le crabe araignée – ou crabe décorateur – va garnir sa carapace d’éponges, de coquilles vides, d’algues, de coraux et d’autres débris marins afin d’adapter son camouflage à l’environnement qui l’entoure et d’ainsi diminuer les risques de prédation.

Les études révélant la capacité des animaux à ressentir des émotions telles que la joie, la peur, la tristesse et l’empathie se multiplient. L’intelligence émotionnelle serait la capacité d’une espèce à exprimer et percevoir des émotions. Certains indices, comme le soutien social, suggèrent une forme d’intelligence émotionnelle chez les baleines. Des chercheurs ont observé au sein des groupes de bélugas et de dauphins plusieurs formes de soutien social. Par exemple, des membres d’un groupe peuvent maintenir un individu malade ou blessé à la surface de l’eau pour lui permettre de respirer. Ce geste représente-t-il une forme de sensibilité ou est-il purement utilitaire, commis dans l’unique but de ne pas perdre un rouage essentiel à l’engrenage? D’un point de vue humain, l’empathie semble la réponse la plus probable, mais les nuances sont essentielles. Les rorquals à bosse ont quant à eux été observés à plusieurs reprises intervenant lors d’attaques d’épaulards sur d’autres mammifères marins. Les scientifiques ne s’entendent pas sur les motivations exactes de ces élans protecteurs, mais n’excluent pas de leurs hypothèses une certaine forme d’altruisme.

En quête d'un respect mutuel

La reconnaissance de la complexité de l’intelligence animale, sous toutes ses formes, nous invite à réévaluer notre rapport de domination vis-à-vis de l’environnement et des différentes espèces qui y évoluent. S’éduquer reste le meilleur moyen pour mieux comprendre et respecter les différentes formes de vie avec lesquelles nous coexistons.

Actualité - 23/10/2023

Kiev Ashcroft-Gaudreault

Kiev Ashcroft-Gaudreault rejoint l’équipe du GREMM en 2023 en tant que rédactrice scientifique. Passionnée par une langue de Voltaire tout en subtilités, elle entame un baccalauréat en rédaction professionnelle pour finalement changer de cap vers un domaine qui l’anime encore plus : l’environnement! Elle souhaite mettre à profit l’alliance de ses deux formations pour prêter sa voix aux êtres qui n’en ont pas et espère faire naitre chez le public ce sentiment de poésie qui l'habite chaque fois que son regard survole le large.

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