Les excréments de baleines, en plus d’être un engrais pour les océans, sont utiles aux scientifiques : ils servent à en savoir plus sur la physiologie et l’environnement de ces géantes. Levons notre chapeau à ces véritables jardinières des mers!
Un jardin coloré
Il est difficile de savoir ce qu’ingurgitent les baleines simplement en les observant, puisqu’elles se nourrissent de toutes sortes de proies sous l’eau. C’est la couleur de leurs fèces qui nous révèle ce qu’elles mangent!
Des baleines qui défèquent rouge signalent qu’elles se sont gorgées de krill. La couleur rouge de ces petits crustacés est due au pigment présent dans les algues dont ils se nourrissent. Des excréments plus foncés, grisâtres ou encore marron-verdâtre indiquent une alimentation plutôt basée sur du poisson. Le caca de baleines peut parfois prendre des teintes vert néon ou pailleté d’écailles de poissons! Selon l’espèce et la diète, leurs excréments auront aussi une consistance différente. Chez le rorqual bleu par exemple, les excréments rouges ont tendance à flotter en morceaux alors que ceux qui sont marron couleraient plus rapidement.
Des baleines qui ont la nageoire verte
Les baleines jouent un rôle crucial dans les écosystèmes. En remontant déféquer à la surface de l’eau – là où se situe le phytoplancton, une algue microscopique – les baleines relâchent nombre de nutriments. Riches en phosphore, en azote et en fer, les excréments nourrissent le phytoplancton, qui prolifèrera à son tour pour alimenter le reste de la chaine trophique : le zooplancton et tous ses prédateurs, dont les poissons, calmars, et oiseaux marins.
Grâce au processus de photosynthèse, ces algues miracles seraient responsables d’au moins 50 % de la production d’oxygène de notre atmosphère selon la NASA. Une partie du carbone absorbé par le phytoplancton descend dans les fonds marins avec la mort de l’organisme. Rapidement recouvert par des sédiments, le carbone sera séquestré ; un mécanisme écologique d’autant plus important avec la crise climatique causée en partie par l’importante quantité de carbone relâché dans l’atmosphère.
Rien que dans le Golfe du Maine, les baleines relâcheraient 23 000 tonnes d’azote dans les eaux de surface annuellement. Cependant, ce cycle des nutriments est moins efficace qu’il n’était avant la chasse intensive des baleines. Dans leur article « The Whale Pump: Marine Mammals Enhance Primary Productivity in a Coastal Basin », Roman et McCarthy expliquent que le rôle des mammifères marins sur leur écosystème agit à partir « de populations restantes, réduites de façon dramatique par la chasse, les morts accidentelles et la destruction de leurs habitats ». Sans compter les trop nombreuses espèces maintenant éteintes ou disparues de certaines régions, comme les morses dans le golfe du Saint-Laurent et les baleines grises dans l’Atlantique. Protéger les baleines, c’est aussi préserver les océans!
Le super-pouvoir invisible
Selon une étude publiée cette année par Nature communications, l’urine des baleines à fanons jouerait également un grand rôle dans la redistribution des nutriments dans les océans! Les mysticètes s’alimentent en été dans les eaux froides des régions sub-polaires riches en nutriments, et se reproduisent ou mettent bas en hiver dans les régions tropicales, plus pauvres en nutriments. Ces cétacés acheminent donc des éléments nutritifs entre ces régions via leurs excréments et… leur urine!
Durant la période hivernale, les baleines à fanons arrêtent quasiment de s’alimenter et elles génèrent très peu de matières fécales. Elles utilisent alors principalement leurs réserves de graisse pour survivre. Le processus transformant le gras et les protéines en énergie génère de l’urée. Celle-ci est riche en azote et en phosphore, des éléments qui enrichissent les écosystèmes en nourrissant le phytoplancton. L’urine à la rescousse pour arroser les eaux chaudes, qui deviennent de véritables jardinières tropicales!
Ces déchets auront un effet d’entonnoir. Autrement dit, ces baleines voyageuses vont s’alimenter sur de grandes surfaces dans les eaux glaciales et se réunir dans des zones restreintes proches de l’équateur pour la reproduction et la mise bas. Ce phénomène concentre les nutriments dans des endroits précis, créant des écosystèmes riches dans un environnement normalement pauvre.
L’urine n’est pas l’unique forme à travers laquelle les mysticètes enrichissent ces milieux tropicaux. Il y a aussi les excréments des veaux ー en pleine période de croissance, ils boivent des quantités incroyables de lait ー, le placenta libéré par l’accouchement et les carcasses de baleines. Néanmoins, parmi toutes ses formes, la plus riche en azote demeure l’urine!
Petite baleine… grand impact!
En période d’alimentation, un petit rorqual pourrait produire jusqu’à 40 kilos de caca par jour. Selon une étude, la population des 15 000 petits rorquals dans la région du Svalbard défèque jusqu’à 600 tonnes d’excréments par jour et relâche 10 tonnes de phosphore et 7 tonnes d’azote chaque été – contribuant ainsi entre 0,2 et 4 % de la production quotidienne de phytoplancton dans la zone!
Un outil pour la science
Récolter des excréments de baleines… il y a plus difficile! Par rapport à d’autres techniques comme les biopsies, cette approche est moins compliquée, peu coûteuse et non-intrusive. Les baleines passent peu de temps à la surface, contrairement à leurs excréments qui eux, flottent derrière elles. De plus, ils permettent d’avoir accès à une panoplie de données.
En extrayant l’ADN des excréments, les scientifiques peuvent retrouver les séquences génétiques des proies consommées et reconstituer la proportion qu’elles prennent dans le régime alimentaire des baleines. On peut ainsi répondre à toute sorte de questions : cette population d’épaulards mange quelle espèce de poisson? Les baleines australes sont-elles en bonne santé?
Les matières fécales nous permettent aussi d’en apprendre plus sur les gènes, le microbiote intestinal, les hormones – la baleine est-elle stressée ou en gestation? – ainsi que sur les niveaux de contaminants et de pollution dans l’océan.
On étudie les hormones de progestérone et de testostérone pour répondre aux questions sur la reproduction et la gestation. Chez les cétacés en gestation, et aussi chez les pinnipèdes, le taux de progestérone dans les matières fécales sera élevé. Les hormones de cortisol et de corticostérone aident à estimer le niveau de stress. Les hormones thyroïdiennes permettent quant à elles d’évaluer la croissance et le métabolisme. En récoltant leurs excréments, les scientifiques ont découvert que les baleines noires de l’Atlantique Nord possédaient un haut niveau de stress à cause de la pollution sonore liée au trafic maritime entre autres.
Les scientifiques peuvent aussi dresser le profil génétique des baleines grâce à leurs excréments. L’analyse de l’ADN de 61 baleines différentes a permis de comprendre leur statut reproducteur, leur niveau de stress, la présence de parasites et leur exposition aux biotoxines marines! Ainsi, le caca nous aide à dresser une base de données et l’histoire de la vie d’individus, complète les informations sur la démographie de l’espèce et comptabilise les individus qui passent entre les mailles lors du processus de photo-identification! Cette nouvelle méthode permet surtout de récolter ces données à partir d’individus vivants et pas seulement de carcasses. L’analyse d’excréments permet aussi aux scientifiques d’identifier l’espèce lorsqu’on ne connait pas l’animal à la source de ce cadeau!
Comprendre l’impact des humains
Récolter les excréments de phoques gris a permis à des scientifiques d’en apprendre plus sur les microplastiques ingérés dans la diète de ce mammifère. Les données sont moins biaisées puisque les chercheurs et chercheuses ne prennent pas des échantillons sur des carcasses, représentant des individus potentiellement en mauvaise santé et qui ne se sont peut-être pas nourris normalement. Le caca des mammifères marins est un véritable butin pour la science!
Si les populations de baleines venaient à se rétablir, leur influence sur les écosystèmes ne serait pas négligeable. Plus de baleines dans nos eaux revient à avoir un jardin marin plus sain et vivant!