Dans le Pacifique, quand un nouveau chant émerge chez un groupe de mâles, il est repris de groupe en groupe. Ce mode de transmission culturelle horizontale s’effectue d’est en ouest, d’une année sur l’autre au sein d’une même génération. C’est la première fois qu’une étude documente un changement culturel aussi dynamique et sur une aussi grande échelle géographique. Elle a été menée par une équipe australienne et des partenaires dans tout le Pacifique, avec comme auteure principale Ellen Garland. Elle a été publiée en avril 2011 dans le journal Current Biology.

Sur une période de onze ans, de 1998 à 2008, les chercheurs ont observé dans le Pacifique du Sud-ouest et sa partie centrale que plusieurs chants ont été transmis rapidement et de manière répétitive, selon un mode unidirectionnel. Onze chants ont été enregistrés pendant cette période, dont huit se sont propagés vers l’est, quatre se sont propagés de l’est de l’Australie jusqu’à la Polynésie française; un seul chant s’est transmis dans l’autre direction, vers l’ouest.

Recevoir, adopter, changer parfois et transmettre

Pour leur étude, les chercheurs ont attribué une couleur à chaque type de chant enregistré, en fonction des phrases, des thèmes et des changements réalisés par soustraction ou addition d’unités musicales transformant les phrases et les thèmes. Par exemple, le chant rose a été documenté aux îles Cook et en Polynésie française en 1998. Il avait été observé en 1995 et 1996 à l’est de l’Australie, avant d’être remplacé par un nouveau chant venu de la population de l’ouest en 1997 qui fut appelé le chant noir. Ce chant noir demeura présent deux à trois ans avant d’évoluer avec quatre nouveaux thèmes et de devenir le chant gris. Mais il s’est transmis à la population de rorquals à bosse de la Polynésie française en 2001.

Chez les rorquals à bosse (Megaptera novaeangliae), les mâles émettent un chant très stéréotypé et répétitif pendant la saison de reproduction, de juillet à octobre dans cette région. Les chercheurs ne savent pas précisément si ces chants permettent aux mâles d’attirer les femelles ou de rivaliser entre eux. Tous les mâles d’une population se conforment à la version type du moment et des similitudes peuvent exister parmi les chants des populations évoluant dans un bassin océanique. Ces populations multiples sont génétiquement distinctes même si des échanges ont lieu dans une faible proportion.

Etre à la fois conforme et différent pour séduire?

Selon les chercheurs, c’est le premier échange culturel sur une aussi vaste région observé chez une espèce animale autre que les humains. Le chant des rorquals à bosse est unique, car il allie un haut conformisme du chant adopté par la population lors de la saison de reproduction à sa forte capacité à évoluer. Ces deux caractéristiques interrogent les chercheurs avec l’influence que l’évolution culturelle peut avoir sur elles, ainsi que leur impact sur la sélection sexuelle.

Chez les animaux, incluant les primates, les cétacés et les oiseaux, la transmission culturelle ou l’apprentissage social d’informations et de comportements peut s’effectuer de manière verticale (des parents à leurs petits), oblique (d’une génération à une autre sans qu’il y ait un lien de parenté entre les deux) ou horizontale (entre individus de la même catégorie d’âges ou de même génération).[Current Biology, Maxisciences, Radio-Canada, BBC, AFP]

Pour en savoir plus:

Sur le site de Current Biology (en anglais seulement) : Dynamic Horizontal Cultural Transmission of Humpback Whale Song at the Ocean Basin Scale

Actualité - 28/4/2011

Christine Gilliet

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