Les requins sont souvent imaginés comme des prédateurs inflexibles. Cette représentation extrême occulte la vérité complexe de ces animaux marins essentiels dans leurs écosystèmes. Loin des clichés hollywoodiens et des croyances populaires, les requins jouent un rôle crucial dans nos écosystèmes marins, y compris dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. Cet article propose d’éclairer le rôle des requins et de mettre en lumière les efforts nécessaires pour assurer leur protection. En adoptant une vision nuancée, nous pourrons mieux apprécier la diversité de ces prédateurs marins et contribuer à la préservation d’un écosystème riche et fragile.

Les requins ne se limitent pas aux eaux chaudes des tropiques : le Saint-Laurent abrite environ 11 espèces différentes! Ce refuge pour ces prédateurs marins est menacé, pas seulement par la pollution ou la pêche excessive, mais aussi par la mauvaise réputation qui leur colle à la peau. Les attaques de requins sur les humains, bien qu’elles soient rares et souvent dues à des erreurs de jugement, alimentent un climat de peur qui complique la conservation de ces espèces.

Un point de vue écologique

Les requins sont présents dans tous les océans, les eaux tropicales chaudes, les mers tempérées et les mers polaires. Ils sont près de la surface, mais aussi dans les fonds marins, près des côtes et en pleine mer. Les requins sont présents sur Terre depuis plus de 450 millions d’années et ont survécu à cinq extinctions massives. Le commerce de requins, notamment pour leurs ailerons, est une menace grave, exacerbée par leur reproduction lente. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, environ 60% des requins pélagiques sont actuellement en danger d’extinction. Les 11 espèces de requins dans le Saint-Laurent sont considérées comme menacées, à l’exception de la roussette maillée dont les données sont insuffisantes, mais dont la population semble stable.

Le requin blanc est connu depuis des milliers d’années dans le Canada par peuple Mi’kmaq. Les Autochtones reconnaissent l’importance de cet animal à travers ces relations avec les différentes espèces de l’écosystème. En effet, les requins sont des prédateurs clés qui régulent les réseaux alimentaires et leur absence aurait d’énormes conséquences pour les écosystèmes marins de tous les océans.

Les espèces clés de voûte

La structure des communautés dans les écosystèmes repose sur une abondance d’espèces à la fois diversifiée et équitable. Cette diversité est influencée par des éléments tels que les espèces clés de voûte. Ces espèces jouent un rôle crucial en modifiant profondément la communauté, même lorsqu’elles ne sont pas particulièrement abondantes. Leur impact est important sur l’ensemble de l’écosystème.

Lorsqu’un prédateur est retiré d’une communauté, on pourrait s’attendre à une augmentation des populations de ses proies. Cependant, ce retrait peut aussi entraîner des effets inverses. Prenons un exemple le long de la côte de Caroline du Nord, dans l’Atlantique. La surpêche a conduit à la disparition de certaines espèces de grands requins. En l’absence de ces prédateurs, les populations de raies ont explosé. Ces raies, en augmentant en nombre, ont intensifié leur prédation sur les palourdes, provoquant des conflits d’intérêts avec les pêcheurs locaux qui exploitent les palourdes.

Au sein d’écosystèmes fragiles

La cascade trophique décrit comment les interactions entre prédateurs et proies affectent l’abondance et la diversité des espèces dans un écosystème. Le rapport de 1998 par Estes & al analyse un phénomène récent de cascade trophique observé au sud des côtes de l’Alaska. La surpêche a réduit le nombre de poissons, ce qui a entrainé une baisse de la population de phoques, leurs prédateurs. Les épaulards, qui s’alimentaient de phoques, ont alors commencé à chasser les loutres de mer. Depuis les années 1990, cette pression accrue a provoqué un déclin significatif des loutres de mer autour des îles Aléoutiennes. La diminution de loutres, se nourrissant d’oursins, a entrainé une explosion de la population d’oursins. Cette prolifération d’oursins a détruit les forêts de laminaires, des algues géantes qui fournissent nourriture et abri à de nombreuses espèces marines. En conséquence, la destruction des laminaires a provoqué des changements importants dans l’écosystème, affectant diverses espèces qui en dépendent.

Un regard nuancé sur leur rôle vital

Les requins, en tant qu’ espèces clés de voûte, jouent un rôle crucial dans la régulation des écosystèmes marins. En tant que grands prédateurs, ils maintiennent l’équilibre des réseaux trophiques en contrôlant les populations de mésoprédateurs, les prédateurs situés au milieu de la chaine alimentaire, évitant ainsi leur prolifération excessive qui pourrait nuire aux habitats et épuiser les ressources. De plus, en ciblant les individus malades ou affaiblis, les requins favorisent la survie des individus plus robustes, contribuant ainsi à la santé globale des écosystèmes marins.

Les requins, en migrant entre les eaux profondes et peu profondes, apportent des nutriments essentiels aux zones côtières souvent pauvres en éléments nutritifs. Par exemple, les requins gris de récifs, présents dans les océans Atlantique est et ouest et Indo-Pacifique, en mer Rouge et en mer Méditerranée, transportent l’azote depuis les profondeurs jusqu’aux récifs coralliens peu profonds, ou leurs excréments enrichissent l’écosystème. Cet azote nourrit des milliers d’espèces marines, contribuant ainsi à la biodiversité des récifs.

L’absence de requins aurait également des répercussions sur le cycle des nutriments : leurs excréments apportent des niveaux vitaux de nutriments comme le nitrogène et le phosphore, des engrais pour les plantes marines et les phytoplanctons. Sans ces nutriments, ces organismes seraient menacés, entrainant un déclin dramatique des écosystèmes marins. À leur mort, leur corps sombre dans les profondeurs océaniques, piégeant ce carbone pour des milliers d’années.

Les requins de plus en plus présents dans le Saint-Laurent

D’après Le Devoir, Jeffrey Gallant, directeur de l’Observatoire des requins du Saint-Laurent, et Simon Paquin, directeur général de l’organisation Écomaris, estiment que la présence accrue de requins blancs pourrait être bénéfique pour les écosystèmes marins du Saint-Laurent. Le grand requin blanc, l’un des rares prédateurs des phoques, pourrait jouer un rôle crucial en régulant leur population et en aidant à rétablir l’équilibre des stocks de poissons. Le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins observe une augmentation notable des cas de prédation de phoques par les requins. Est-ce que cette tendance pourrait entraîner des changements significatifs dans la diversité des espèces du fleuve Saint-Laurent? Xavier Bordeleau, spécialiste des pinnipèdes et des relations entre proies et prédateurs, ainsi que Pêches et Océans Canada tentent de vérifier cette hypothèse.

Actualité - 12/9/2024

Romy-Lena Bouchard-Babin

Romy-Lena Bouchard-Babin est rédactrice pour baleine en direct et naturaliste au GREMM pour la saison estivale de 2024. Son amour et sa curiosité pour la nature, combinés à sa passion pour la lecture et la communication, la poussent à constamment chercher à apprendre et à partager ses connaissances. Attirée vers les sports en nature, elle a compris jeune l’importance de la conservation de la biodiversité et entreprend aujourd’hui un baccalauréat par cumul en écologie marine.

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