Comme les humains, le bébé «canari des mers» apprend à communiquer avec ses proches et enrichit son répertoire. Mais il doit aussi s’adapter à la pollution sonore dans son habitat. Notre vacarme peut même mettre en péril son lien avec sa mère. La menace devient de plus en préoccupante pour certaines populations en déclin.

Chez les cétacés, le béluga est certainement l’espèce qui montre le plus grand nombre de capacités vocales. Il dispose de toute une panoplie de sons: sons aigus, clics, sifflements, cris rauques, grincements, gazouillis. Valeria Vergara et d’autres scientifiques spécialistes de l’espèce et de l’acoustique commencent à percer les secrets de leur système de communication. C’est ce que notre article de la semaine dernière évoquait à partir d’un reportage effectué par la BBC.

Mais pour les scientifiques, la question centrale émerge d’emblée: combien de temps les bélugas seront-ils encore capables de se parler alors que le bruit anthropique sature leurs habitats? Les chercheurs considèrent que cette menace est un des facteurs contribuant au déclin des populations exposées. La population des bélugas du golfe du Cunningham semble se maintenir. Son habitat, un lieu sauvage de l’Arctique canadien, n’est pas affecté par le bruit des activités humaines. C’est pour cette raison que Valeria Vergara a choisi ce lieu et cette population pour étudier les communications entre les femelles bélugas et leurs baleineaux. Mais ailleurs, plus au sud, la situation est bien différente et des populations diminuent.

Pas le temps de s’adapter au bruit des humains

Le reportage de la BBC évoque deux autres populations qui vivent à proximité de côtes peuplées et urbanisées où les activités humaines génèrent du bruit sous-marin. Dans le golfe de Cook en Alaska, sur le 60e parallèle, les bélugas passent l’été à se nourrir de saumons. Selon une étude datant des années 1970, on les estimait alors à 1300. Vingt ans plus tard, en 1994, on en dénombrait 650, et la plus récente estimation de leur abondance est de 312 individus, rapporte Rod Hobbs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Le golfe de Cook s’étire sur 288 km de l’ouest du golfe de l’Alaska jusqu’à la ville portuaire d’Anchorage. De nombreuses activités humaines bruyantes s’y déroulent: forages de construction pour l’agrandissement du port, trafic des navires, détonations répétitives des levés sismiques pour l’exploration des hydrocarbures, bases navales de l’armée étatsunienne et aéroport.

Le plus gros problème que pose la pollution sonore générée par les humains, c’est qu’elle ne laisse pas le temps aux bélugas — et aux autres cétacés — de s’y adapter, commente dans le reportage de la BBC Robert Michaud, directeur scientifique et fondateur du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) au Québec, et spécialiste du béluga du Saint-Laurent. Si la mer n’a jamais été un monde silencieux avec les craquements de la glace, les séismes sous-marins et les orages, les bélugas ont eu des milliers d’années pour s’adapter à ces bruits de la nature.

Quand les cétacés reçoivent un bruit fort dont la source d’émission est proche, ils risquent de souffrir de blessures ou tout au moins d’une surdité temporaire. De la même manière qu’un humain peut sortir d’un concert de rock avec des capacités auditives altérées, explique Aran Mooney. Ce chercheur a livré en 2009 les conclusions d’une étude qu’il a menée sur les dauphins exposés à des sonars militaires actifs.

Comment se parler quand le bruit devient chronique

Pour connaître les impacts de la pollution sonore sur les bélugas et notamment sur leur système de communication, une autre méthode consiste à observer comment les individus s’y adaptent. Dans le Saint-Laurent, des chercheurs autour de Peter Scieifele ont étudié la petite population qui y réside à l’année. Dans l’estuaire maritime, ils ont plongé leurs hydrophones de 1996 à 2003 pour enregistrer leurs émissions sonores et repérer les changements dans leur système vocal en fonction de variations du niveau de bruit de leur environnement. Dans cette région côtière, la pollution sonore augmente en période estivale avec les activités humaines liées au trafic maritime et au tourisme, notamment avec la présence des bateaux d’observation de mammifères marins.

Là aussi, les bélugas changent leur façon de communiquer, comme les humains qui veulent parler et se faire entendre dans un endroit bruyant. Ils augmentent le volume de leurs signaux ou « paroles » et modifient leurs vocalises. Cette adaptation est appelée l’effet Lombard. Quand le bruit environnant devient trop important, il peut même couvrir les vocalises des bélugas. Pour des animaux dont tout le mode de vie est régi par le son, cette exposition chronique constitue un agent de stress significatif, les forçant à dépenser plus d’énergie pour communiquer. Quant aux sons d’appel et de réponse qui sont utilisés par le nouveau-né vers sa mère, ils peuvent facilement être masqués par le bruit environnant. Ces sons sont de faible énergie et émis dans une gamme de fréquences réduite.

Pour les bélugas du Saint-Laurent, le pic de la saison touristique correspond à la période des naissances. En décembre 2014, cette population a été évaluée comme une espèce en disparition au Canada, ayant enregistré un nombre anormalement élevé de mortalités de nouveau-nés ces dernières années.

Comprendre comment fonctionne le système de communication des bélugas, et plus spécifiquement entre les mères et leurs jeunes, permet de mieux cerner la menace du bruit qui contribue à causer leur déclin dans certaines de leurs populations. La solution? Réduire la pollution sonore pour minimiser ses impacts. Ce qui ne devrait pas être si difficile. Les zones où vivent les bélugas étant spécifiques et bien délimitées, il s’agirait peut-être de les rendre silencieuses. C’est avec ces mots d’Aran Mooney que le reportage se conclue.

Sources

Sur le site de la BBC (en anglais seulement):

The mystérious squeaks and whistles of beluga whales

Sur le site du Vancouver Sun (en anglais seulement):

Field Notes from Arctic Watch

On a aimé regarder

Sur le site de Youtube (en anglais seulement):

How Beluga Whales Talk (vidéo de 3 min 06 s)

Pour en savoir plus

Sur le site de la Royal Society. Biology Letters (en anglais seulement):

Sonar-induced temporary hearing loss in dolphins

Sur le site du Journal of the Acoustical Society of (en anglais seulement):

Indication of a Lombard vocal response in the St. Lawrence River beluga

Sur le site de Baleines en direct:

Les bélugas du Saint-Laurent sont en déclin

Pollution sonore (archives des Actualités d’ici et d’ailleurs)

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