Elle est peut-être l’espèce de mammifère marin la moins connue du Saint-Laurent. Et pour cause, ses observations sont occasionnelles dans le golfe, et rares dans l’estuaire. Alors quand René Roy, pour sa première sortie en mer, s’est retrouvé dans un groupe d’une vingtaine de globicéphales noirs au large de Franquelin, Côte-Nord, il a célébré!

Le globicéphale noir est une espèce de dauphin à la tête arrondie comme celle d’un béluga (mais le béluga n’appartient pas à la famille des dauphins). Sa large nageoire dorsale ressemble plus à celle du marsouin commun que celle en faucille du dauphin à flancs blancs. Ses longues et fines nageoires pectorales lui sont uniques. Une marque plus pâle sur son dos rappelle celle de la plus grosse espèce de dauphin: l’épaulard.

Les globicéphales noirs sont très sociaux. Ils vivent en communauté. Cette espèce est malheureusement célèbre pour ses échouages massifs, ce qui leur a valu le surnom de baleine pilote. En effet, il est possible que lorsqu’un individu globicéphale s’échoue, le reste de sa communauté l’imite et s’échoue à son tour.

Lors de l’observation de René, au moins un baleineau, des femelles et au moins un mâle, probablement adulte vu sa forme et sa taille, se trouvent dans le groupe. Les globicéphales tendent à rester en unités familiales, allant parfois à regrouper une vingtaine d’individus apparentés. Est-ce le cas de ce groupe?

Fidèle collaborateur de la Station de recherche des iles Mingan, René est habitué de partager ses observations avec les chercheurs. Il a donc transmis ses photos à l’équipe du Cape Breton Pilot Whale Project, qui tient un catalogue de photo-identification de l’espèce. La chercheuse Elizabeth Zwamborn n’est pas parvenue à identifier les individus, ce qui l’a surprise. Elle constate que depuis quelques années, les observations dans le golfe du Saint-Laurent ont diminué de façon draconienne et se concentrent maintenant surtout en juillet et en aout. Est-ce qu’il y a eu un changement dans l’abondance ou les patrons de fréquentation de leur proie principale, l’encornet rouge nordique, une espèce de calmar?   

C’est la troisième fois que René croise la route de globicéphales noirs, et les deux autres fois étaient aussi en mai (vous pouvez d’ailleurs lire son carnet de terrain sur le sujet). Encore une fois, les baleines n’ont pas fini de nous surprendre!

Crédit vidéo : René Roy

Les observations se multiplient

Le 7 mai encore, les observations de baleines sont nombreuses le long de la Côte-Nord. Du côté de Pointe-Paradis, un observateur repère tour à tour un rorqual commun et un petit rorqual. À Franquelin, d’immenses colonnes blanches forment une tache à l’horizon qui persiste quelques secondes avant de disparaitre. Malgré les jumelles, impossible d’identifier l’espèce qui crée un tel geyser au large. Du côté des Escoumins, deux bélugas nagent paisiblement.

Le 8 mai, un ornithologue commence sa journée d’observations d’oiseaux aux dunes de Tadoussac. Il a le plaisir de noter le passage d’un petit rorqual. Plus tard dans la journée, il migre sur les rochers d’Essipit, où il photographie un béluga portant de drôle de tachetures sur la peau. Intrigué, il envoie sa photo au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins. L’équipe s’étonne, jamais n’a-t-elle vu des taches de cette couleur et de cette forme. Illico, la photo voyage jusqu’au vétérinaire spécialiste en santé de la faune, Stéphane Lair. Les plaques jaunes pourraient être une accumulation de kératine associée à la mue, un processus donc normal. Toutefois, il est possible que le béluga nage moins vite et ait donc moins perdu sa peau lors de ses mouvements. Sur la photo, il est accompagné d’un jeune béluga. A-t-il ralenti trop souvent le rythme pour que le petit puisse le suivre?

Le 10 mai, devant le Centre d’interprétation des mammifères marins à Tadoussac, une mère petit rorqual commence à transmettre ses techniques de chasse à son baleineau. Pour la nouvelle responsable de la boutique du musée, cette observation lance bien la saison et lui confirme que son choix de quitter la grande ville lui apportera beaucoup de beauté.

Entre Sept-Îles et Anticosti le 11 mai, quelques animaux viennent troubler la quiétude de la surface: un petit rorqual, de petits groupes de phoques du Groenland et des marsouins communs. Toutes ces espèces sont friandes de petits poissons. Ont-elles trouvé un banc généreux à partager? Un petit rorqual se trouve aussi du côté de Pointe-des-Monts cette même journée.

Du côté de Charlevoix, les observations de bélugas deviennent presque quotidiennes. Tant à Saint-Irénée qu’à Cap-à-l’Aigle, les bélugas semblent se dandiner le dos à l’heure de l’apéro. À moins que ce ne soit les observatrices qui, elles, leur portent plus d’attention à ce moment où la lumière est excellente pour scruter le grandiose Saint-Laurent. Car le meilleur truc d’observation, c’est toujours d’avoir les yeux grand ouverts pointés sur l’eau!

Voilà, c’était ma dernière chronique des Observations de la semaine, après l’avoir écrite pendant près de quatre ans. Je tiens à remercier chaleureusement les observateurs et observatrices si fidèles qui ont partagé leur amour des baleines avec moi chaque semaine. Cette chronique tisse des liens, elle permet d’échanger des connaissances et des expériences. J’ai eu un grand plaisir à leur parler semaine après semaine, à avoir accès à un petit morceau de leur vie et de celles des baleines qui leur sont chères. Ma collègue Laure Marandet reprendra la plume avec brio et aura le privilège de recevoir vos observations. Car sans vos yeux sur l’eau, elle ne serait pas grand-chose.

Observations de la semaine - 12/5/2021

Marie-Ève Muller

Marie-Ève Muller s’occupe des communications du GREMM depuis 2017 et est porte-parole du Réseau québécois d'urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Comme rédactrice en chef de Baleines en direct, elle dévore les recherches et s’abreuve aux récits des scientifiques, des observateurs et observatrices. Issue du milieu de la littérature et du journalisme, Marie-Ève cherche à mettre en mots et en images la fragile réalité des cétacés.

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