Les baleines sont particulièrement sensibles au bruit, qu’il soit d’origine naturelle ou humaine. Le bruit peut interférer avec leur communication ou modifier leur comportement. Les avions ou hélicoptères qui survolent l’habitat des baleines peuvent-ils alors les déranger ?

L’ampleur du dérangement dépend de nombreux facteurs : l’intensité, la fréquence et la durée du son, la distance entre l’objet qui émet le bruit et la baleine, la profondeur de l’eau, l’espèce de baleine ainsi que l’activité qu’effectue la baleine.

Dans le cas des engins aériens, plusieurs études montrent que le bruit émis par les aéronefs peut déranger les baleines, mais pas de la même manière que celui produit par les navires. «Même si un moteur à réaction ou à hélice génère des bruits de bien plus grande amplitude qu’un moteur de bateau, son empreinte acoustique est presque négligeable, sauf lorsque les bruits sont très récurrents, comme à proximité d’une piste d’un aéroport achalandé», conclut Manolo Castellote, chercheur à la National Oceanic and Atmospheric Agency qui travaille sur le dérangement par le bruit.

De l’air à l’eau

Lorsqu’un son produit dans l’air est transmis à l’eau, une grande quantité d’énergie sonore est réfléchie. Seules les ondes qui frappent l’eau avec un angle près de la verticale sont réellement transmises au milieu aquatique. Dans l’eau, les ondes sonores voyagent de quatre à cinq fois plus rapidement que dans l’air.

À haute altitude, l’intensité du son est déjà diminuée avant qu’il atteigne la surface de l’eau. À basse altitude, les bruits sont plus forts, mais ils diminuent rapidement, car, lorsque l’avion ou l’hélicoptère s’éloigne, l’angle devient rapidement défavorable à la transmission dans l’eau. De plus, les sons produits dans l’air se propageraient sur une plus grande distance dans des eaux peu profondes.

Un dérangement variable

Les sons produits par les engins aériens sont majoritairement de basse et de moyenne fréquence. Ainsi, les baleines à fanons seraient théoriquement davantage susceptibles d’être dérangées puisque leur communication repose sur ces mêmes fréquences et que leur système auditif y est donc adapté.

Les baleines à dents produisent et entendent généralement des sons de plus hautes fréquences. En fait, les bélugas pourraient même ne pas entendre certains des sons produits par les avions et hélicoptères. En effet, à des fréquences inférieures à 1 kHz, les sons doivent être suffisamment forts pour être audibles par les bélugas et doivent donc provenir d’engins aériens à très basse altitude. À des fréquences supérieures à 1 kHz (moyenne fréquence), les sons pourraient être facilement perçus par les bélugas à 150 mètres d’altitude, mais pas à 300 mètres.

Bélugas et baleines boréales en migration

Une étude réalisée dans la mer de Beaufort, au nord de l’Alaska, a comparé les réactions des bélugas et des baleines boréales au bruit d’avions et d’hélicoptères, au moment de la migration printanière, vers l’aire d’alimentation. Chez les deux espèces, les types de réactions, lorsqu’il y en a une, sont similaires : diminution du temps de surface, plongées précipitées, changements brusques de direction ou éloignement de la source de bruit.

Les chercheurs ont observé des réactions chez les baleines boréales lors de seulement 15 % des vols d’hélicoptères à une altitude inférieure à 150 mètres. Les données disponibles ne permettent pas de savoir si les baleines boréales réagissaient moins lorsque l’altitude était plus grande.

La plupart des bélugas n’avaient aucune réaction visible lors de vols d’hélicoptères à plus de 150 mètres d’altitude. Toutefois, lorsque l’altitude était inférieure à 150 mètres, les réactions des bélugas étaient plus fréquentes que celles des baleines boréales. Dans certains cas, des bélugas semblaient sortir la tête pour regarder l’avion ou l’hélicoptère qui passait au-dessus de leur tête. Ils pourraient donc être sensibles aux signaux visuels même lorsqu’ils n’entendent pas ou peu les avions et hélicoptères. De plus, les chercheurs croient que l’oreille des bélugas hors de l’eau pourrait entendre autant les avions que les hélicoptères à une altitude allant jusqu’à 300 mètres, en se fiant à des études réalisées chez les marsouins communs.

Chez les deux espèces, d’autres études ont montré que les changements de comportements étaient plus fréquents chez des baleines en repos que chez des baleines qui s’alimentaient activement ou se reproduisaient.

Comportement de détresse chez un groupe de cachalots

Dans une étude similaire, un groupe de cachalots a eu un comportement inusité après qu’un avion les a encerclés pendant plusieurs minutes : les onze cachalots se sont regroupés en demi-cercle, la tête orientée vers l’extérieur. Le plus grand mâle du groupe s’est positionné vers une extrémité alors que le seul veau s’est plutôt placé vers le centre de l’arc. Ce type de formation est parfois observé lors de réelles menaces, tels des épaulards, des requins et des baleiniers.

Effets à long terme difficilement mesurables

La plupart des réactions des baleines face au bruit aérien seraient de courte durée. Mais les effets à long terme du dérangement sont particulièrement difficiles à étudier. Dans la plupart des études, les comportements des baleines en réaction au bruit d’un avion sont notés de l’avion lui-même, ce qui limite grandement la durée d’observation à la suite du dérangement. De plus, l’absence d’un changement de comportement ne signifie pas nécessairement que le son n’a eu aucun effet physiologique sur la baleine.

Le bruit des avions et hélicoptères est-il équivalent à celui des bateaux?

Les sons produits par des avions et des hélicoptères sont généralement plus forts que ceux produits par des bateaux. Toutefois, les moteurs des navires émettent des sons directement dans l’eau, limitant ainsi la perte d’énergie sonore. Ces sons vont aussi dans toutes les directions, favorisant la propagation sur de grandes distances. De plus, puisque les bateaux voyagent plus lentement que les engins aériens, le dérangement par le bruit persiste plus longtemps. En effet, le bruit des bateaux peut parfois être audible pendant des heures, tandis que celui des avions et hélicoptères ne l’est que pendant quelques dizaines de secondes.

Les avions et les hélicoptères ont donc bel et bien le potentiel d’avoir un effet sur le comportement des baleines. Mais ces changements de comportement ont-ils un effet à long terme sur le bienêtre des baleines ? Quelle part du problème de la pollution sonore peut être attribuée au secteur aérien ? Comment limiter le dérangement par les avions et hélicoptères?

Des études supplémentaires seront nécessaires pour répondre à ces questions. Mieux comprendre les effets des avions et des hélicoptères permettrait aussi de diminuer les biais dans la recherche sur les baleines qui implique parfois des survols aériens.

Il est interdit de survoler le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent à moins de 609,6 mètres (2000 pieds), afin de limiter le dérangement par le bruit. Selon les études consultées, cette distance semble suffisante pour grandement diminuer les effets sur les baleines.

En savoir plus

  • (2002) Patenaude, J. P., W. J., Richardson, M. A. Smultea, W. R. Koski et G. W. Miller. Aircraft sound and disturbance to bowhead and beluga whales during spring migration in the alaskan Beaufort Sea. (États-Unis). Marine Mammal Science 18(2) : 309-335.
  • (1997) Richardson, W. J. et B. Wursig. Influences of Man-Made Noise and Other Human Actions on Cetacean Behaviour. (Royaume-Uni). Marine & Freshwater Behaviour & Phy 29 : 183-209.
Les baleines en questions - 24/7/2019

Jeanne Picher-Labrie

Jeanne Picher-Labrie a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 comme rédactrice à Baleines en direct et naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins. Baccalauréat en biologie et formation en journalisme scientifique en poche, elle est de retour en 2021 pour raconter de nouvelles histoires de baleines. En se plongeant dans les études scientifiques, elle tente d’en apprendre toujours plus sur la mystérieuse vie des cétacés.

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