S’il n’est pas anormal de voir des grands rorquals dans l’estuaire en hiver dans l’estuaire et dans le golfe du Saint-Laurent, depuis le début de l’année 2025 l’équipe du GREMM a reçu plus de 170 observations de grands rorquals. Sachant que ces prédateurs mangent une quantité impressionnante de krill et de poisson, certains observateurs et observatrices se demandent s’il restera assez de nourriture pour cet été!
« C’est un peu la grande question qu’on se pose nous aussi à chaque printemps en anticipant la saison, écrit Samuel Turgeon, écologiste et chef d’équipe pour Parcs Canada, quelle genre d’année aurons-nous au niveau des proies (et des grands rorquals!)? Plus de poissons, plus de krill, moins de proies… ». Un point de vue partagé par le Dr Jory Cabrol, chercheur scientifique sur les interactions entre le zooplancton et les cétacés à Pêches et Océans Canada. Selon lui, cette question complexe englobe une panoplie d’autres questions qui nécessitent de longs jeux de données.
Manque de données
Peu d’observations ou de suivis scientifiques sont effectués en période hivernale étant donné les conditions météo rudes sur le fleuve. Ce biais rend difficile d’établir des liens sur les effets observés pendant la saison estivale.
« L’été dernier, selon l’analyse préliminaire des données, la saison a été caractérisée par le krill, » explique Samuel Turgeon, dont l’équipe effectue un suivi annuel des proies dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Cela a-t-il eu un impact sur le type et la quantité d’espèces qui sont venues dans le parc marin en 2024? Treize rorquals bleus et 19 rorquals communs avaient alors été identifiés par l’équipe du GREMM durant la saison. 27 rorquals à bosses avaient été identifiés, un chiffre moins élevé par rapport aux années 2021-2023 mais toujours plus que dans les années 1980-2020. Néanmoins, les cycles d’abondance, la répartition et les types de proies, et leur relation avec leurs prédateurs, sont des concepts encore mal compris.
Le Centre d’éducation et de recherche de Sept-Îles (CERSI), l’Institut des Sciences de la Mer de Rimouski (ISMER) et le Cégep de Sept-Îles collaborent cette année pour analyser le zooplancton des eaux nord-côtières. En mettant en lumière les liens entre le zooplancton, la présence de mammifères marins, et d’autres mesures environnementales, les équipes espèrent mesurer les changements qui ont lieu dans l’écosystème du Saint-Laurent.
Un impact négligeable sur leur environnement
Au moins 11 rorquals bleus différents ont pu être aperçus entre janvier et avril. On estime qu’un rorqual bleu pourrait manger jusqu’à 16 tonnes de krill en une journée! Le krill représente 95 % de sa diète. Pourtant, les grands rorquals venus au printemps n’auraient qu’un impact négligeable sur les proies du Saint-Laurent, explique Jory Cabrol.
La richesse du chenal Laurentien
Le chenal Laurentien est un lieu d’extrême abondance et la quantité de proies disponible est importante. Un article de Baleines en direct sur la présence de krill en hiver explique le phénomène: « Les besoins nutritionnels des baleines ne sont pas suffisamment importants par rapport à la masse globale de krill pour affecter sa population dans le Saint-Laurent pendant la saison d’alimentation des baleines. » Selon un relevé acoustique du MPO dédié au krill dans l’estuaire et le nord du golfe (2008-2017), la biomasse de krill était même plus abondante durant l’hiver, de la mi-décembre à la mi-février! Elle semblait subir de grandes variations au cours de l’année, mais s’estimait à 176 tonnes au km², 50 % du temps.
Selon une étude datant de 2013, seulement 35 % de la biomasse totale de krill de l’estuaire du Saint-Laurent est consommée par des prédateurs, dont les mammifères marins, les oiseaux marins, les poissons, et le macrozooplancton entre autres. En 2017, on estimait à plus de 806 000 tonnes de krill dans le Saint-Laurent, dont 71 922 tonnes dans le secteur des Escoumins. On ne connait malheureusement pas les dernières estimations dans l’abondance du krill. Caroline Lehoux, biologiste en évaluation de stock à l’Institut Maurice-Lamontagne, prévoit que la mise à jour des indices de krill pour 2018-2024 soit effectuée d’ici un an ou deux. À suivre!
D’autres bouches à nourrir
Si les grands rorquals mangent beaucoup, d’autres espèces consomment bien plus de krill et de poissons qu’eux! Proie de prédilection, le krill est consommé par une grande quantité de prédateurs autres que les baleines à fanons, dont le capelan, le phoque du Groenland, le flétan de l’Atlantique, le flétan du Groenland, et la morue entre autres. Parmi les 30 prédateurs du gros krill, comme le krill nordique, 16 ont une relation trophique très forte, c’est-à-dire que la proportion de krill dans leur diète dépasse 5%. Nombre de ces prédateurs, dont les phoques et les oiseaux marins, s’alimentent aussi des petits poissons favoris des baleines, comme le hareng et le capelan.
Pas de raison de s’inquiéter, car même si la nourriture était moins abondante cet été, les rorquals ont une grande capacité d’adaptation. Hormis le rorqual bleu, les baleines ne mangent pas seulement du krill mais possèdent une diète plus ou moins variées de petits poissons. Ces animaux sont capables de changer rapidement de secteur à la recherche de nourriture. Selon une étude de 2021, les rorquals communs dans le Saint-Laurent ont diversifié leur diète alimentaire qui reposait à l’origine sur le krill arctique, en diminution du fait du réchauffement des eaux, pour favoriser les petits poissons.
Changements dans l’abondance
Samuel Turgeon souligne que les changements dans l’abondance du Saint-Laurent semblent plutôt être cycliques, et non le signe d’un déclin général ou relié à la forte présence de baleines. Il y a des années à poissons et des années à krill.
Les changements climatiques, les changements dans l’écosystème du Saint-Laurent, et les cycles naturels ont bien plus d’impact sur l’abondance ou non de nourriture dans l’estuaire que nos baleines! Samuel Turgeon conclut que « personne n’a la réponse et il existe beaucoup de facteurs différents » qui affectent l’abondance comme la répartition changeante des proies d’année en année, les changements climatiques dont le réchauffement des eaux, le taux d’oxygénation, et la modifications des courants.
Pour en savoir plus:
- C. Savenkoff, S. Comtois, D. Chabot. Is the change in distribution and abundance of blue whales related to the groundfish collapse in the northern Gulf of St. Lawrence?