Dans le périple saisissant d’un jeune béluga à la recherche de son grand-père, le film d’animation Katak, le brave béluga, de la maison de production québécoise 10e Ave Productions, explore une faune marine diversifiée, des paysages nord-côtiers somptueux et certains des enjeux auxquels doivent faire face les bélugas. Un brin d’humour, des rebondissements inattendus et des personnages attachants, le film a tout pour plaire aux petits comme aux grands.
La scénariste du long métrage, Andrée Lambert, n’en est pas à ses premières armes. Elle a aussi travaillé sur les scénarios des émissions pour enfants Cornemuse et Toc toc toc. «Au début, mon idée, c’était d’écrire une histoire sur un enfant pas comme les autres qui finirait par s’accepter, explique-t-elle. Je ne savais pas encore comment le faire. J’ai parcouru le fleuve sur mon voilier pendant plusieurs étés et une journée, alors que j’arrivais à Tadoussac à l’entrée du fjord du Saguenay, j’ai vu des bélugas au loin et je me suis dit que le Saint-Laurent serait l’endroit parfait pour raconter cette histoire.» L’autrice avait deux objectifs en écrivant le scénario : faire connaître le fleuve en montrant à quel point il est magnifique et sensibiliser la population aux problématiques des bélugas du Saint-Laurent.
La vie des bélugas
Katak tarde à blanchir : à son âge, il devrait déjà avoir perdu sa couleur grise et quitté sa mère pour rejoindre un groupe de mâle adultes. Les groupes de bélugas sont en effet divisés de cette façon dans la nature. D’un côté les femelles sont avec les nouveau-nés et les juvéniles alors que les mâles se réunissent en petits groupes. Les bélugas naissent aussi café au lait, avant de devenir gris-bleu puis complètement blancs entre leur douzième et leur seizième année. Ils changent donc graduellement de couleur, certains pouvant blanchir plus rapidement que d’autres. La présence d’une grand-mère dans la communauté de bélugas du film reflète également les liens sociaux complexes qui unissent ces cétacés. Le gardiennage ou les soins allomaternels sont souvent apportés aux jeunes par une autre femelle que la mère : une grand-mère, une tante ou encore une sœur plus âgée.
À quelques reprises au cours de sa palpitante aventure, le jeune Katak doit s’arrêter pour dormir. Celui-ci reste en surface et profite d’une nuit de sommeil salvatrice du coucher jusqu’au lever du soleil. En réalité, il est important de préciser que la respiration est un mouvement volontaire chez les cétacés. Ils doivent donc constamment maintenir un niveau de conscience pour respirer, même en dormant. Les cétacés vont ainsi avoir plusieurs petites séquences de repos durant leur journée pour être en mesure de pouvoir respirer au moment opportun. Certaines études portant sur les dauphins ont démontré que ceux-ci ne dormaient qu’une partie du cerveau à la fois. Les bélugas, pour leur part, ont été observés se reposant dans le fond d’un bassin en captivité ou encore flottant tranquillement à la surface, rappelant un billot de bois qui flotte.
Les impacts du bruit et de la pollution humaine sur les bélugas, la mortalité néo-natale, le trafic maritime ou encore la diminution de la population dans le Saint-Laurent sont abordés à différents moments dans le long métrage. Des moments tristes, des anecdotes, des défis ainsi que des scènes humoristiques sont tricotés entre la dure réalité que vivent les bélugas et les aventures des personnages.
Un exemple frappant est lorsqu’un clin d’œil aux morues de l’Atlantique est réalisé avec finesse. En route vers son objectif, Katak nage à côté d’une morue solitaire qui tremble de peur. Il la rassure en lui disant de ne pas s’inquiéter puisqu’il ne s’en nourrira pas. Dans les années 1930, le gouvernement du Québec encourageait la chasse aux bélugas, puisqu’on croyait qu’il nuisait aux pêches. Quelques années plus tard, les premières études ont démontré que les bélugas ne se nourrissaient pas d’espèces d’intérêt commercial comme la morue, mais plutôt de petits poissons de fond et d’invertébrés.
Les bélugas du film ont aussi leur propre langage pour qualifier les structures humaines. Les bateaux sont ainsi des «flottants» et les plateformes de forage, des «fouisseurs».
Que penser du film?
À plusieurs reprises, les animaux du film d’animation peuvent faire preuve de réactions ou de sentiments propres aux humains, ce que l’on appelle l’anthropomorphisme. Sans vouloir divulgâcher le film, la fin, quoique heureuse et divertissante, peut décevoir d’un point de vue scientifique. Le rétablissement de la population des bélugas n’aura pas lieu du jour au lendemain et la solution proposée dans le scénario contourne des enjeux réels observés dans le Saint-Laurent, en plus de déresponsabiliser les humains. Écrire une histoire équilibrée en la réalité et la fiction n’est cependant pas de tout repos et l’autrice souhaitait amener une touche d’espoir, en plus d’offrir une fin heureuse aux personnages.
Si quelques petites incohérences ont pu être relevées, l’ensemble de l’œuvre est cependant étonnamment juste pour un film d’animation dédié à un jeune public. Dans son processus d’écriture, Andrée Lambert a d’abord consulté Pierre Béland, écologiste dévoué à la protection des bélugas et auteur du livre Les bélugas, ou l’adieu aux baleines. Par la suite, elle s’est tournée vers Jean-François Gosselin, biologiste à Pêches et Océans Canada pour poser ses questions. Le réalisme des images du film est quant à lui dû à une consultation auprès de l’Aquarium du Québec, permettant, par exemple, de reconnaitre facilement les anémones qui peuplent le fond de l’eau.
L’histoire profite d’une esthétique épurée et réaliste qui met de l’avant des paysages majestueux, la scénariste ayant été inspirée par ses voyages en voilier sur le fleuve. Les habitués de la Côte-Nord reconnaitront aussi des endroits familiers : la baie Sainte-Marguerite, Tadoussac, le phare du haut-fond Prince, Pointe-des-Monts, l’archipel de Mingan ou encore Natashquan. Ceux qui ne connaissent pas encore ces endroits auront certainement envie de les explorer.
Chapeau bas à l’équipe d’avoir su créer une histoire où la faune marine du Saint-Laurent est mise de l’avant, où les paysages sont d’une grande beauté et où les défis auxquels doivent faire face les bélugas sont abordés avec douceur et sensibilité. Le film aura aussi l’immense mérite de sensibiliser un jeune public aux impacts des activités humaines sur l’environnement. La scénariste Andrée Lambert ayant principalement ces objectifs en tête, on peut dire que c’est mission accomplie!