Dans le cadre de leur recensement annuel des grands rorquals dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, l’équipe du Projet Grands Rorquals au GREMM a recensé, de la mi-juin à la mi-septembre, 6 rorquals à bosse, 13 rorquals communs et 9 rorquals bleus. Dans la première partie de ce dossier, l’équipe de Baleines en direct est allée rencontrer le responsable du Projet Grands Rorquals pour vérifier comment ces chiffres se comparent avec ceux des années précédentes. Notre enquête révèle que la situation de 2025 n’est pas exceptionnelle pour ce qui est des nombres. Les résultats de ces recensements effectués chaque été depuis 1985 montrent toutefois des variations interannuelles importantes, parfois spectaculaires!

Pour la suite de notre enquête, nous sommes montées à bord de L’Alliance et sommes allées à la rencontre de Samuel Turgeon, écologiste et responsable du suivi des proies pélagiques et des prédateurs de Parcs Canada, en vue d’en apprendre plus sur les causes de ces variations. À ce stade de la saison 2025, les relevés de Parcs Canada indiquent que si le krill est bien présent dans le parc marin cet été, on cherche encore les bancs de petits poissons! 

4 septembre 2025 : une journée à bord de l’Alliance pour recenser les proies des grands rorquals

La journée s’annonce magnifique avec peu de vent et un plan d’eau calme. Nous embarquons sur L’Alliance, un bateau de Parcs Canada, et larguons les amarres à 8h20. Trois agents en gestion des ressources sont à bord pour mener le suivi des proies pélagiques et des prédateurs.

Chaque semaine, du début juin à la mi-octobre, l’équipe effectue cinq transects – des lignes qui traversent le chenal Laurentien perpendiculairement à la côte –, de façon aléatoire dans la portion de l’estuaire maritime du parc marin. Sur chaque transect, on déploie l’échosondeur – un équipement chargé de récolter des informations sur ce qui se cache sous la surface. Leur objectif : savoir si les proies des prédateurs, baleines comme oiseaux, sont présentes ou non.

Par un principe similaire à l’écholocalisation des cétacés, l’échosondeur propage trois pulsions différentes à des fréquences de 38, 120 et 200 kHz. Ces sons se reflètent ensuite contre tout ce qu’ils rencontrent, et révèlent ainsi le type et la quantité de proies présentes à différentes profondeurs!

Chaque espèce possède en effet sa propre signature acoustique. Le krill a un écho plus faible sous la fréquence 38 kHz que 120 kHz contrairement aux poissons qui ont un écho relativement similaire sur ces deux fréquences, voire supérieur sous le 38 kHz. Les scientifiques sont donc en mesure de différencier le krill de bancs de poissons, et même, en utilisant la 3e fréquence, le 200 kHz, de différencier certaines espèces de poissons et de krill.

Il existe trois types de krill dans le Saint-Laurent : Thysanoessa inermis, Thysanoessa raschii (krill arctique) et Meganyctiphanes norvegica (krill nordique). La méthodologie de Parcs Canada lui permet de distinguer ces deux dernières espèces de krill. Le krill arctique est régulièrement situé plus proche de la surface et le krill nordique, plus en profondeur.

Les données s’affichent en direct sous nos yeux. À première vue, il y a une faible densité de krill cette semaine et aucun banc de poissons.

Pendant que la capitaine, Sarah, se charge de suivre la ligne du transect et de faire attention aux navires qui pourraient entraver sa route, deux agents observent depuis le pont supérieur du bateau. Au cours de la sortie, l’équipe recense 80 phoques gris, 1 phoque commun, 8 marsouins communs, 27 bélugas et 1 rorqual commun.

L’appel des proies

Le Saint-Laurent est un garde-manger important pour plusieurs espèces de baleines migratrices, qui viennent s’y nourrir durant l’été.

Les rorquals à bosse s’y alimentent généralement de petits poissons comme le hareng et le capelan, mais aussi de krill. Les rorquals communs seraient davantage généralistes qu’avant en raison des changements dans leur environnement, quoique certains individus seraient encore des spécialistes du krill ou du hareng et du capelan, énonce une étude de Pêches et Océans Canada publiée en 2021. Les rorquals bleus sont quant à eux des adeptes du krill. Ainsi, dépendamment de ce qu’ils trouvent au cours de leur route, certains se rendront ou non jusque dans le parc marin. Parmi ceux qui s’y rendent, certains rebrousseront peut-être chemin si leur proie de prédilection ne s’y trouve pas en quantité suffisante.

Il est important de remettre en perspective la présence de grands rorquals dans le parc marin avec l’abondance de nourriture dans le Saint-Laurent. Si un secteur comporte une grande abondance de proies, il est tout probable que des individus s’y soient arrêtés. Par exemple, des grands rorquals ont fréquemment été observés dans les environs de Portneuf-sur-Mer au cours des dernières semaines, au large de pointe à Boisvert ou Matane, probablement en raison d’une abondance de nourriture. Des observateurs et observatrices nous rapportent également une présence constante de baleines dans le golfe, alors que peu de petits rorquals et de groupes de phoques semblent être présents dans l’estuaire.

Ce que nous apprend ce suivi

Ce suivi de Parcs Canada, effectué chaque été depuis 2009, documente systématiquement les conditions physico-chimiques de la colonne d’eau, le nombre d’espèces de prédateurs présentes et le nombre d’individus ainsi que la présence et l’abondance de leurs proies. En mettant toutes ces différentes variantes en commun, l’équipe est capable d’obtenir un aperçu simultané de la distribution et de l’abondance des prédateurs et de leurs proies. Ce projet, effectué en étroite collaboration avec le recensement de grands rorquals du GREMM, est un outil puissant pour suivre et tenter de comprendre les changements qui ont lieu dans le parc marin. Ce suivi fait d’ailleurs partie du programme de surveillance de la viabilité écologique de Parcs Canada, un programme qui vise à définir l’état de santé des écosystèmes du parc marin.

Qu'en est-il de 2025?

Samuel Turgeon, écologiste à Parcs Canada, rapporte que « pour l’instant, selon une analyse préliminaire des données recueillies cet été, aucun gros banc de poisson pélagique n’a été détecté. […] Il y a toutefois présence constante de krill depuis le début de la saison ». Fait intéressant, « lors du suivi datant du 7 août 2025, moins de krill a été détecté, notamment pour le krill arctique, ce qui est cohérent avec le départ de grands rorquals dans les jours précédents. » ajoute Samuel. Effectivement, du 6 au 17 aout, aucun grand rorqual n’aurait été observé dans le parc marin.

Tendances d’abondance

Depuis 2022, Parcs Canada recense dans le parc marin une abondance marquée de krill. Les petits poissons, sans être absents des données, y sont moins présents depuis quatre étés, explique Samuel Turgeon, alors que de 2018 à 2021, c’était le contraire, avec la présence constante de poisson, que l’on croit être essentiellement du lançon, dans les secteurs traditionnels d’alimentation de grands rorquals. Effectivement ces secteurs, comme le cap Granite ou la falaise sud, semblent moins utilisés depuis 2022, contrairement aux années précédentes.

Certaines espèces de poissons semblent subir des cycles d’abondance dans leur population. Ce phénomène pourrait potentiellement influencer la présence de rorquals qui se nourrissent de ces proies. Les prochains suivis de Parcs Canada, et les analyses complètes effectuées pendant l’hiver, permettront peut-être de tirer des conclusions plus tangibles et de mieux comprendre les liens entre les proies et leurs prédateurs.

Historique du nombre de grands rorquals dans le secteur du parc marin depuis 1995. © GREMM

Un écosystème en plein changement

Des changements importants semblent s’opérer actuellement dans le Saint-Laurent, affectant les espèces qu’on y observe, du krill jusqu’au rorqual bleu. Au cours de leurs sorties du suivi des proies, Parcs Canada récolte aussi de précieuses données sur la colonne d’eau qui sont ensuite analysées par Pêches et Océans Canada. Depuis quelques années dans le secteur de l’estuaire maritime du parc marin, les scientifiques remarquent une diminution du taux d’oxygène dissous dans les eaux profondes, un amincissement de la couche intermédiaire froide, et une augmentation de la température pour chacune des trois couches d’eau. Ce constat est d’ailleurs le même pour l’ensemble de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent.Les suivis des grands rorquals et de leurs proies réalisés par le GREMM et Parcs Canada dans le parc marin permettent de récolter de précieuses données permettant de mieux comprendre cet environnement en constante évolution. L’historique et la globalité de ces suivis montrent l’importance d’étudier sur de longues périodes les rapports proies-prédateurs afin de mieux comprendre et interpréter la fréquentation des grands rorquals dans le Saint-Laurent et protéger ce secteur essentiel à la vie marine.

Et les autres espèces?

Dans ces deux reportages, notre équipe s’est penchée sur la présence des grands rorquals et de leurs proies dans le parc marin. Toutefois, depuis le début de la saison, des observations ou absences d’observations d’autres espèces ont aussi soulevé des questions. Que se passe-t-il avec les petits rorquals qui semblent moins nombreux le long de nos côtes? Où sont les imposants troupeaux de phoques gris qu’on observe depuis quelques années à la tête du chenal Laurentien? Que font les bélugas, présents en grand nombre dans leur aire de migration hivernale, dans le nord-est du golfe et sur la côte gaspésienne, en plein été? Finalement, les grands requins blancs arriveront-ils bientôt dans le parc marin? Au cours des prochaines semaines, nous tenterons de creuser quelques-unes de ces questions.

Actualité - 17/9/2025

Équipe Baleines en direct

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