Au début du mois de janvier, l’équipe du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) a reçu de nombreux appels de la part d’observateurs affirmant avoir aperçu des phoques, des bélugas et même plusieurs rorquals.
Or, ce constat a fait l’objet de nombreuses interrogations de la part des lecteurs de Baleines en direct, qui se sont demandé si une telle abondance était normale. Certains ont réagi avec enthousiasme à la prolongation de la saison d’observation, mais d’autres, plus inquiets, y ont vu un effet des changements climatiques.
Y-a-t-il vraiment une présence exceptionnelle de baleines cet hiver? Doit-on s’en réjouir ou s’alarmer?
Selon Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM, on ne peut affirmer avec certitude que les mammifères marins sont plus abondants cet hiver qu’un autre, puisqu’ils ne font pas l’objet d’un recensement systématique, et qu’on ne dispose pas de données fiables sur leur répartition hivernale. Pour l’instant, Baleines en direct dépend pour sa chronique des Observations de la semaine de ses nombreux et essentiels observateurs, qui rapportent les souffles entendus, les dos aperçus. Ainsi, on pourrait attribuer partiellement cette abondance exceptionnelle à l’intérêt grandissant et à la ferveur des passionnés ou encore à une visibilité exceptionnelle durant la période des Fêtes.
Le Saint-Laurent n’est jamais complètement déserté par les cétacés en hiver. Au contraire, on a recensé au fil des ans la présence de plusieurs individus de différentes espèces : certains qui tardent à migrer, certains qui reviennent de plus en plus tôt et d’autres qui ne partent tout simplement pas . Le béluga, résident du Saint-Laurent, n’a pour seule migration qu’un léger déplacement à l’est ou au large. Son corps blanc se confondant aisément avec les glaces, il peut toutefois être difficile à observer, et on ne dispose pas de la technologie nécessaire pour le suivre en continu au large.
La fréquentation des mysticètes, ou baleines à fanons, s’avère plus difficile à mesurer. Le rorqual à bosse, tel un snowbird, quitte habituellement le froid pour se diriger vers le Sud, dans les eaux tropicales de la côte Est des États-Unis, de la République dominicaine ou ailleurs dans les Caraïbes, où il va se reproduire et mettre bas. Toutefois, certains individus trop jeunes ou trop faibles ne sont pas en mesure d’accomplir ce voyage et peuvent être aperçus dans le Saint-Laurent en hiver. Des espèces telles que le rorqual commun, le rorqual bleu ou le petit rorqual sont vues jusqu’en décembre et parfois dès mars, mais préfèrent les eaux tempérées lorsque les glaces se forment.
Plusieurs scientifiques croient que le réchauffement climatique pourrait bel et bien prolonger la période de fréquentation intensive des mysticètes, puisqu’il provoquerait l’accélération de la fonte du couvert de glaces. La glace peut empêcher les baleines de remonter respirer à la surface, restreindre leurs déplacements et l’accès à la nourriture. Ainsi, sa disparition permettrait à certaines espèces de retarder leur départ du Saint-Laurent, ou même de ne pas le quitter.
De nouvelles recherches abondent dans ce sens. Grâce au prélèvement de données acoustiques, Yvan Simard et Nathalie Roy, chercheurs à l’Institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada, ont pu suivre la trajectoire du rorqual bleu et du rorqual commun dans le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Ils ont enregistré les sons émis par ces deux espèces. Leurs résultats permettent d’établir une correspondance entre l’apparition des glaces et l’absence de communications des deux espèces. Vers la mi-décembre, lorsque les eaux du fleuve se cristallisent, on ne distingue plus de communications de rorquals, ce qui laisse supposer leur départ de cette partie de l’estuaire.
Nous pouvons profiter des observations, tout en nous questionnant sur les nombreux enjeux qu’elles soulèvent. Et s’il faut s’inquiéter d’une chose, c’est plutôt de l’absence de changement chez l’humain, qui continue à envisager son rapport au monde dans une optique de développement, plutôt que de cohabitation, affectant encore le couvert de glace par ses activités.