Créer une « maison de retraite » en pleine mer, capable d’offrir les meilleures conditions de vie possible aux baleines issues des aquariums et parcs marins : c’est l’objectif de l’association étasunienne Whale Sanctuary Project. Un premier sanctuaire pouvant héberger une poignée de bélugas pourrait ouvrir dès fin 2021, et c’est la petite collectivité de Port Hilford, sur la côte Atlantique de la Nouvelle-Écosse au Canada, qui a été choisie pour accueillir ce projet novateur.

Un important soutien local

« Pour faire notre choix, nous avons investigué de nombreux sites, sur la côté est du Canada, mais aussi en Colombie-Britannique et dans l’état de Washington », retrace Charles Vinick, directeur général de l’association Whale Sanctuary Project. L’organisme recherchait un site maritime d’environ une quarantaine d’hectares d’eau avec des profondeurs d’au moins 14 mètres, dans une baie ou une crique pour être facilement clôturé par des filets, et possédant une excellente qualité d’eau. Le lieu devait être bercé par des vagues naturelles, mais relativement protégé des intempéries et des glaces importantes.

« À Port Hilford, non seulement le site choisi répond à toutes nos exigences physiques, mais en plus, nous avons obtenu un fort soutien de la communauté locale, souligne Charles Vinick. Nous avons organisé plusieurs rencontres d’information publique, et nous pouvons compter sur l’appui des pêcheurs locaux pour nos actions de recherche en mer. » À terme, le sanctuaire devrait accueillir entre 6 et 8 bélugas, venus de zoos, aquariums et parcs d’attractions. Il serait ouvert au public de manière limitée et encadrée, et pourrait constituer une attraction locale.

« Maison de retraite » pour cétacés

À l’heure actuelle, dans le monde, on estime que plus de 2350 cétacés vivent en captivité : environ 2000 dauphins, 300 bélugas et une cinquantaine d’épaulards. Mais, ces dernières décennies, le regard du public a beaucoup changé concernant les parcs d’attractions mettant en scène des cétacés. Un changement de mentalités notamment dû aux succès du film Mon ami Willy (1993) et du documentaire Blackfish (2013), qui a poussé de nombreux pays à légiférer sur la captivité des cétacés. Ainsi, en juin 2019, le Canada adopte une loi interdisant de capturer, importer, exporter et faire reproduire des cétacés en captivité. Cette loi est une des réglementations les plus sévères au monde.

« L’étape qui vient naturellement derrière, c’est “que faire des animaux déjà captifs ? ». Tant qu’il n’y a pas de sanctuaire, il n’y a pas de solution satisfaisante pour eux », expose Charles Vinick. Ce dernier, qui a participé à la remise en liberté de l’épaulard Keiko — l’acteur principal du film « Mon ami Willy » — a bien conscience du problème : « On sait parfaitement bien capturer une baleine et la retirer de la vie sauvage… mais on ne sait malheureusement pas bien comment la réintroduire ».

L’objectif n’est donc pas de relâcher les cétacés dans l’océan, mais plutôt de leur offrir une sorte de « maison de retraite », dans un cadre de vie « qui donne la priorité à leur bien-être et leur autonomie et se rapproche le plus possible de leur habitat naturel », décrit l’association. Le sanctuaire fera ainsi plus de 300 fois la taille du plus grand bassin d’aquarium du monde.

« Nous ne visons pas l’autonomie alimentaire ; les cétacés accueillis seront nourris et soignés, notamment de façon à ne pas épuiser les ressources du site, précise le directeur du Whale Sanctuary Project. Mais nous souhaitons qu’ils puissent communiquer entre eux, expérimenter la sensation des vagues, ou encore jouer avec un crabe sur le fond de l’eau. »

Objectif 2021

Alors que le choix de Port Hilford comme lieu de sanctuaire a été annoncé fin février, la pandémie de la COVID-19 a depuis quelque peu retardé l’avancement du projet, notamment les démarches pour l’obtention des permis nécessaires. Mais l’équipe reste optimiste et garde en tête l’objectif d’accueillir ses premiers pensionnaires d’ici fin 2021 : « Comme tout le monde, nous continuons notre travail grâce aux réunions virtuelles », sourit Charles Vinick, qui précise que le projet est mené depuis le début en collaboration avec les agences de régulation canadiennes (Pêches et Océans Canada, Transports Canada, etc.), mais aussi avec le monde scientifique.

« Dans notre comité consultatif, nous comptons un grand nombre de chercheurs et de spécialistes des cétacés, et il est important pour nous d’être en contact avec des organismes de recherches spécialisés comme le GREMM, qui nous apportent l’expertise nécessaire pour comprendre le comportement des cétacés », souligne Charles Vinick. « Nous travaillons également main dans la main avec les aquariums et les parcs d’attractions. Nous ne sommes pas là pour les critiquer ou les accabler, mais pour leur proposer des solutions, et nous souhaitons que les soigneurs habituels [des bélugas qui seront apportés] puissent venir nous épauler dans les premiers temps. » L’ONG américaine suit d’ailleurs de très près un projet similaire de sanctuaire mené en Islande par Sea Trust, une fondation liée aux parcs d’attractions Merlin Entertainments.

À l’avenir, Whale Sanctuary Project espère bien aménager d’autres sites, accueillir d’autres cétacés en reconversion et installer des caméras sous-marines et des points d’observation terrestres. L’occasion de proposer au public une autre forme d’interaction avec les mammifères marins en captivité.

Actualité - 30/4/2020

Laure Marandet

Laure Marandet est rédactrice pour le GREMM depuis l'hiver 2020. Persuadée que la conservation des espèces passe par une meilleure connaissance du grand public, elle pratique avec passion la vulgarisation scientifique depuis plus de 15 ans. Ses armes: une double formation de biologiste et de journaliste, une insatiable curiosité, un amour d'enfant pour le monde animal, et la patience nécessaire pour ciseler des textes à la fois clairs et précis.

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