Alors que le Québec s’enfonce doucement dans l’automne, que les couleurs s’embrasent et que les coups de vent et de pluie se multiplient, les bateaux remontent progressivement à quai, et les observateurs se font moins nombreux sur l’eau. Les baleines, elles, sont toujours là… mais pour combien de temps encore?
Dans l’estuaire du Saint-Laurent, les rares bateaux qui partent encore observer les baleines sont récompensés par de nombreuses observations. Au large des Escoumins et des Bergeronnes, on dénombre encore sept à dix rorquals communs, dont «Ti-Croche», et cinq baleines à bosse, dont H930, H944, H943 et H918. «Ce sont les irréductibles, les seules encore présentes sur les environ 25 rorquals à bosse qui sont venus nous visiter cette saison», écrit le photographe Renaud Pintiaux.
On s’attend à ce qu’elles prennent bientôt le chemin des iles…Mais lesquelles? On sait par exemple que H930 a été observée cet hiver dans les eaux guadeloupéennes, alors que la plupart des baleines à bosse du Saint-Laurent passent la saison froide au large de la République dominicaine. Suivra-t-elle ses compagnes de l’été ou choisira-t-elle de retourner dans les Antilles françaises?
Sur le départ…
La baleine noire de l’Atlantique Nord nommée Wolf n’a, elle, plus été signalée dans le secteur depuis lundi 5 octobre. Après 11 jours à explorer les eaux du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et à se faire photographier sous toutes les coutures telle une véritable vedette, elle semble avoir pris le chemin du retour. Lors de la dernière observation rapportée, elle se dirigeait à vive allure en direction de l’Est/Nord-Est, ne plongeant que quelques minutes et donnant de forts coups de pectorales. On espère avoir de ses nouvelles rapidement!
Les baleines noires de l’Atlantique Nord font l’objet d’un suivi scientifique très rigoureux le long des côtes américaines; on sait donc que Wolf a l’habitude de se prélasser sous le soleil de la Floride ou de la Géorgie pendant l’hiver. Reviendra-t-elle nous rendre visite l’année prochaine?
Le 6 octobre, deux rorquals communs passent à quelques milles au large de Portneuf-sur-Mer et de Forestville, en direction du golfe. Pour Dany Zbinden, chercheur au Mériscope, c’est un signe : «l’été, on en voit rarement dans le coin, mais à l’automne, c’est fréquent de les voir passer». La migration des rorquals communs reste, elle, très mystérieuse et fait l’objet d’investigations par des chercheurs. Grâce à la pose de balises satellites sur quelques individus, on espère en apprendre plus sur les routes migratoires des rorquals communs.
Depuis les dunes de Tadoussac, Jessé Roy-Drainville, de l’Observatoire d’oiseaux de Tadoussac, voit lui aussi passer de grands souffles de rorquals communs. Mais sur la terre ferme, ce sont les oiseaux qui lui signalent l’arrivée du froid. «On a eu un gros passage de durbecs des sapins et de sizerins flammés, ainsi que deux aigles royaux ce jeudi. Ça fait un peu peur, car habituellement, les aigles royaux passent beaucoup plus tard». L’hiver arrivera-t-il particulièrement tôt cette année?
Toujours présents
Les bélugas, eux, nagent toute l’année dans le Saint-Laurent. S’ils ne font qu’une courte migration entre l’estuaire et le golfe, ils racontent cependant à leur manière le changement de saison. Le 4 octobre, devant Le Cap de Bon-Désir, trois kayakistes se font surprendre par une véritable marée de bélugas, «facilement une centaine de bélugas en train de descendre depuis Les Escoumins en direction de Tadoussac».
Timothée Perrero, chercheur au GREMM, confirme : «à l’automne, les bélugas tendent à former de larges troupeaux. En cette saison, lorsqu’on sort faire de la photo-identification, on peut tomber au milieu de regroupements importants. Parfois, tout autour du bateau à perte de vue, on voit des dos blancs qui sortent! »
«Un automne bleu!»
Du côté de Sept-Îles, Jacques Gélineau a dénombré récemment sept ou huit rorquals bleus et une dizaine de rorquals communs. «C’est un automne bleu! s’exclame-t-il. Je vis une saison vraiment exceptionnelle. Actuellement, je revois pas mal toujours les mêmes individus. Les paires se font et se défont. Les animaux commencent à se regrouper. Comme le plancton est peu profond, à environ 30 ou 40m, les plongées ne durent pas plus de 10 minutes, ce qui facilite les observations. C’est pratique avec les journées qui raccourcissent.»
En prévision de leur migration, les baleines bleues doivent absolument stocker de grandes quantités de graisse. Pour cela, elles peuvent engouffrer jusqu’à quatre tonnes de nourriture par jour – exclusivement du krill. Pas le temps de niaiser, il faut manger! Au-dessus de ce festin, ce sont les labbes parasites, oiseaux actuellement en pleine migration, qui émerveillent Jacques et lui annoncent la fin de la douce saison.
Dans la baie de Gaspé, on souligne l’absence remarquée des rorquals bleus cet automne, mais une poignée de rorquals à bosse fait le spectacle. Les observateurs sont heureux de reconnaitre parmi eux des habitués de longue date, comme Leprechaun, Irisept, Minkichote – venue cette année avec son veau! – ou encore Splish, qui fait partie des premières baleines identifiées par la Station de recherche des iles Mingan (MICS) en 1980.
La baie attire également dauphins à flancs blancs, marsouins, trois ou quatre rorquals communs et beaucoup de petits rorquals. «On a parfois dix, quinze ou vingt petits rorquals autour du bateau. C’est beau à voir!»
Petit par la taille, grand par le nombre
Le petit rorqual, c’est la seule espèce recensée par nos observateurs du côté ouest de la Gaspésie. «Malgré deux longues sorties en mer, rien… à part deux petits rorquals à la sortie du quai de Matane, précise un habitué. Même pas un phoque ou un marsouin!» Même constat pour René Roy, sorti au large, entre Matane et Les Méchins : «Je suis découragé de mon secteur», s’exclame-t-il. «D’habitude c’est un très bon secteur pour les bleues, mais cette année, elles ne sont pas au rendez-vous. Je n’ai vu que du petit rorqual.»
Mais si les observateurs cherchent souvent la rareté d’une baleine noire, la mobilité d’un groupe de rorquals à bosse ou l’immensité d’une baleine bleue, d’autres se réjouissent de la présence de ces petits rorquals, qui s’approchent de la côte et permettent des observations terrestres.
«Plusieurs petits rorquals sont venus proche du quai de Baie-Comeau cette semaine, raconte un observateur. Je suis allé m’assoir dimanche matin et un petit rorqual est venu s’alimenter pendant une heure en trappant le lançon contre le mur du quai, c’était magique !» Une autre amoureuse des baleines s’émeut d’un petit dos noir aperçu «en train de voyager» entre Havre-Saint-Pierre et Grosse île au Marteau. À Baie-des-Sables, les petits rorquals payent une visite régulière à un observateur: «Jeudi dernier, sa nageoire était à peine visible avec la mer agitée. Hier, la mer calme m’a permis d’entendre son souffle et de le repérer. Et ce matin encore, un petit rorqual est passé me faire un clin d’œil», s’enthousiasme-t-il.
«Le petit rorqual est le plus imprévisible de tous, en termes de migration, souligne Dany Zbinden. On sait qu’il y a une ségrégation sexuelle très forte et que les individus présents dans l’estuaire sont presque exclusivement des femelles matures. On sait aussi qu’il existe plusieurs sous-populations qui se déplacent différemment.»
«Nos» petits rorquals appartiendraient à la population dite de l’East Canadian Stock et, d’après une étude de suivi acoustique, descendraient au large de la pointe sud-est des États-Unis et des Caraïbes pendant l’hiver. Toutefois, les données migratoires restent très incomplètes. Il y a tant de questions en suspens lorsqu’on parle baleines!