À la vue d’une baleine flottant drôlement à la surface de l’eau, faut-il faire ni une ni deux et sauter par-dessus bord pour la sauver d’une mort certaine, ou faut-il la laisser dormir en paix? Peu importe la situation, il est fortement déconseillé de plonger dans les eaux glacées du Saint-Laurent, sans compter qu’il est interdit de s’approcher d’une baleine. Par contre, il peut s’avérer difficile de déterminer si une baleine est réellement en mauvaise posture ou si elle adopte simplement un comportement de repos normal. Voici quelques indices qui permettent d’interpréter plus adéquatement l’état de santé de ces animaux, observés par des milliers de personnes chaque été.

Dormir distraitement

Lorsqu’une baleine demeure près de la surface pendant un laps de temps relativement long et qu’elle semble assez passive, elle est probablement simplement en train de se reposer.

En effet, les baleines ont des comportements de repos très particuliers. Chez les cétacés, la respiration est un acte volontaire. Cela signifie que ces mammifères marins doivent constamment penser à remonter à la surface pour respirer. Pas facile de dormir quand on doit toujours se réveiller pour reprendre des bouffées d’air! Les baleines ont donc développé différentes stratégies pour réussir à sommeiller sans se noyer. Par exemple, plusieurs espèces de baleines à dents, dont les bélugas et les dauphins, ne ferment qu’un œil à la fois et gardent une moitié de leur cerveau active en tout temps, afin de ne pas oublier de respirer. Une autre stratégie, documentée chez les bélugas, les rorquals à bosse et les baleines noires, consiste à se laisser flotter à la surface. On appelle ce comportement le «billotage», en référence à des billots de bois flottants. Le rorqual commun, quant à lui, a plutôt tendance à nager lentement près de la surface, laissant régulièrement son évent émerger.

Les cachalots sont les plus extravagants: ils dorment debout! Placés à la verticale sous la surface, ils remontent périodiquement le bout de leur tête afin de s’approvisionner en oxygène. «La première fois que j’ai vu cela, dans les années 90, j’étais avec Daniel Lefebvre, notre chef-naturaliste de l’époque, raconte Robert Michaud, directeur scientifique du GREMM. Il était super excité, il n’arrêtait pas de répéter “ça, ça va faire un beau squelette!” Nous étions persuadés qu’il s’agissait d’une carcasse.» Voilà une preuve que même les experts peuvent se tromper lorsqu’ils observent des comportements avec lesquels ils ne sont pas familiers! Dans le doute, la meilleure façon de s’assurer qu’une baleine se porte bien est d’attendre. Les individus vivants vont inévitablement recommencer à bouger plus activement et produiront éventuellement des souffles.

L’odeur de la mort

Les signes indiquant le décès d’une baleine mentent rarement. Quand on découvre une carcasse, on sait généralement qu’on se retrouve devant quelque chose d’inhabituel. Les carcasses restent infiniment passives, n’expirent jamais d’air et suivent les mouvements du courant. Elles dégagent une odeur de putréfaction et se font souvent picorer par une multitude d’oiseaux marins. Leur peau parait parfois étrangement décolorée ou partiellement déchirée en lambeaux.

Dans le cas du béluga, les individus décédés flottent souvent sur le côté, une nageoire hors de l’eau. Ils peuvent aussi passer du blanc au jaunâtre, à cause de leur plus grande exposition au soleil. Cependant, il faut rester vigilant: la peau de certains bélugas vivants et malades peut également jaunir, étant donné que ces individus plus faibles passent plus de temps en surface que les individus parfaitement sains. La peau des autres espèces de baleines tend aussi à changer de teinte lors de la décomposition, mais une drôle de couleur n’indique pas assurément une mortalité, puisque certains individus ont une coloration particulière même de leur vivant.

Chez les espèces de rorquals, après la mort, les sillons ventraux se gonflent de façon à ce que le ventre de l’individu ressemble à une montgolfière. La langue peut aussi enfler et prendre l’allure d’un ballon. Si vous observez une baleine qui présente une ou des caractéristiques propres aux carcasses, composez le 1 877 722-5346 afin de rejoindre le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins.

Attention, les images qui suivent peuvent être difficiles à regarder.

Les gaz de décomposition à l’intérieur de cette carcasse de rorqual commun l’ont fait gonfler. © GREMM
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Ce gros ballon est une langue! © GREMM
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On peut également reconnaitre une baleine malade ou mal en point grâce à certains indices. L’extrême maigreur est le signe le plus visible d’une mauvaise santé, parce qu’il signifie que l’individu ne parvient pas à s’alimenter correctement. Il arrive aussi que les baleines vivantes dégagent une odeur de putréfaction, provoquée par l’infection qu’elles combattent. C’est le cas de Perséides, un rorqual à bosse vu pour la dernière fois en 2010 et dont les souffles produisaient des effluves fétides. Si une baleine souffre, elle risque de limiter ses mouvements et ses déplacements, et donc d’avoir l’air passive. Par contre, elle se distinguera d’une baleine morte parce qu’elle continuera de respirer et, bien que plus rarement, de plonger pour se nourrir. Ainsi, une baleine en repos est plus difficile à distinguer d’une baleine malade que d’une carcasse. En cas de doute, vous pouvez filmer l’animal sans vous en approcher et contacter Urgences Mammifères Marins afin qu’ils évaluent son comportement.

Les baleines en questions - 12/7/2021

Frédérique Paré-Bastarache

Amoureuse du fleuve et de la nature, Frédérique a rejoint l’équipe de Baleines en direct en tant que stagiaire à l’été 2021. Elle vient tout juste de compléter un certificat en création littéraire et s’engagera à l’automne dans des études en littérature. Calme, elle utilise son sens de l’observation pour s’imprégner de ses différents habitats et pour en apprendre plus sur la faune et la flore du Québec. Elle fréquente les régions de Charlevoix et de la Haute-Côte-Nord depuis longtemps; à son avis, il s’agit du plus beau coin du monde, là où la montagne se déverse dans l’estuaire et où les souffles de baleines donnent les directions vers où aller demain.

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