Comme le témoignent les actualités des dernières semaines, l’empêtrement de baleines dans des équipements de pêche peut avoir de lourdes conséquences pour les baleines elles-mêmes, ainsi que pour ceux qui tentent de les désempêtrer. L’équipe de Baleines en direct fait un retour sur les évènements des dernières semaines et tente de répondre à cette grande question : pourquoi et comment protéger ces géants des mers des empêtrements?

Retour sur les évènements et les mesures mises en place

Depuis le 6 juin dernier, quatre baleines noires empêtrées et huit baleines noires mortes ont été repérées dans le golfe du Saint-Laurent. Une des carcasses ayant été analysées par les chercheurs — une femelle de 13,3 m — présentait des traces d’empêtrement chronique, c’est-à-dire qu’elle trainait du cordage de pêche depuis un long moment déjà. Une analyse du cordage permettra de préciser le moment de l’empêtrement.

Le 10 juillet, lors d’une opération de désempêtrement d’une baleine noire au large de Shippagan, au Nouveau-Brunswick, Joe Howlett, de l’équipe de sauvetage des baleines de Campobello, perd la vie. Suite à cet évènement tragique, le ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO) ainsi que la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) ont tous deux suspendu leur programme de désempêtrement pour une durée indéterminée, le temps de revoir leurs procédures. Aucune intervention n’a donc été envisagée pour désempêtrer la baleine noire empêtrée vivante observée en territoire canadien le 20 juillet.

Depuis le 14 juillet, le MPO tente également de minimiser les risques d’empêtrement par la fermeture temporaire à toute activité de pêche du crabe des neiges dans une zone du golfe du Saint-Laurent où une concentration de baleines noires a été observée.

Des empêtrements mortels

Dans de nombreuses régions côtières, les prises accidentelles dans les engins de pêche sont une des principales causes de mortalité des cétacés. Selon la Commission baleinière internationale, les prises accidentelles sont responsables de la mort de plus de 300 000 cétacés chaque année à travers le monde.

Dans certains cas, le problème est si grave qu’il met en péril des populations entières. Pensons notamment au cas du marsouin vaquita, qui pourrait disparaitre d’ici un an dû aux prises accidentelles, et au cas de la baleine noire de l’Atlantique Nord, une population en voie de disparition dont 85 % des décès ont été attribués aux prises accidentelles en 2015.

Lorsque l’empêtrement ne cause pas la mort…

Un empêtrement qui ne cause pas la mort de l’animal peut avoir des conséquences à long terme sur son état de santé et sa reproduction, comme le démontrent de récentes études sur la baleine noire de l’Atlantique Nord. Une étude publiée en mars dernier démontre qu’un empêtrement sévère peut mener rapidement — en aussi peu que 16 jours — à la détérioration de l’état de santé d’une baleine noire, particulièrement chez les individus qui ont de grands besoins énergétiques, tels les jeunes et les femelles lactantes. L’empêtrement peut rendre l’alimentation ou la nage plus difficile ou moins efficace, ce qui augmente le risque qu’une baleine entre dans un état de déficit énergétique qui, lorsque prolongé, peut limiter les chances de rétablissement de l’individu. Et lorsqu’une femelle est en moins bonne condition physique, ses chances de reproduction sont moins élevées, dévoile une autre étude publiée l’année dernière. La diminution du taux de vêlage observée depuis 2010 serait-elle en partie causée par les empêtrements et la détérioration de l’état physique qui en découle? C’est ce que suggèrent des chercheurs. Lorsqu’on considère que 83 % des baleines noires se sont empêtrées au moins une fois dans leur vie — comme le démontrent les cicatrices qu’elles portent sur leur corps et les cordages qu’elles transportent — et que 15,5 % de la population s’empêtre chaque année, les empêtrements peuvent avoir de lourdes conséquences sur le rétablissement de cette population.

Dans le Saint-Laurent

Dans le Saint-Laurent, on observe chaque année des cétacés — le plus souvent des petits rorquals, des rorquals à bosse et des rorquals communs, mais parfois également des bélugas, des marsouins communs, des dauphins, des cachalots et des globicéphales noirs — empêtrés dans des filets ou des cordages. Les engins de pêche qui occasionnent le plus d’empêtrements, selon les cas répertoriés dans le Saint-Laurent, sont les casiers, les cages et les filets maillants.

Au cours des 10 dernières années, le Réseau québécois d’urgences pour les mammifères marins (RQUMM) a répertorié 78 cas de prises accidentelles de mammifères marins dans le golfe et l’estuaire, ce qui comprend des animaux empêtrés vivants ainsi que des animaux morts ou vivants présentant des traces d’empêtrements. Cependant, étant donné que tous les cas ne sont pas déclarés au RQUMM et qu’il est estimé qu’un bon nombre d’animaux empêtrés ne s’échouent pas et disparaissent dans l’océan, il est impossible d’évaluer le nombre exact de prises accidentelles dans la région.

Pour ce qui est des empêtrements de baleines noires, le phénomène semble nouveau dans le Saint-Laurent. « Quatre baleines noires empêtrées observées dans le golfe du Saint-Laurent en une saison, c’est une situation sans précédent », mentionne Josiane Cabana, directrice du centre d’appels du RQUMM.

Depuis quelques années, de plus en plus de baleines noires sont observées dans le golfe du Saint-Laurent. Cela expliquerait-il ce nombre inhabituel d’empêtrements? Quelles mesures devront être mises en place dans le Saint-Laurent pour éviter que de tels évènements se reproduisent?

Comment protéger les baleines des empêtrements?

De nombreuses mesures ont récemment été mises en place pour réduire les risques d’empêtrement, dont le développement de cordage de pêche de moins grande résistance et donc plus sécuritaire pour les baleines, un nouveau règlement étatsunien concernant l’importation des produits de la mer — selon lequel les pêcheries étrangères désirant exporter aux États-Unis devront protéger les mammifères marins selon des normes comparables à celles régissant les pêcheries étatsuniennes — et, plus récemment dans le golfe du Saint-Laurent, la fermeture d’une zone de pêche. Des chercheurs suggèrent, dans une étude publiée ce mois-ci dans Marine Policy, de fermer deux autres zones de pêche au Canada — le bassin de Grand Manan et le bassin de Roseway — durant la saison estivale, afin de protéger la baleine noire.

Fermer des zones de pêche pourrait s’avérer être une mesure efficace. Cependant, étant donné que les aires d’alimentation de la baleine noire semblent se modifier, et que les aires de répartition des autres espèces de cétacés vont probablement également évoluer avec les changements climatiques, le suivi des populations et des proies sera essentiel afin de bien cibler, et de mettre à jour de façon régulière, les zones fermées à la pêche commerciale.

Sources

  • Banville, Y. 2010. Identification d’innovations en vue de limiter les prises accessoires de mammifères marins. Pêches et Océans Canada.
  • Body condition changes arising from natural factors and fishing gear entanglements in North Atlantic right whales Eubalaena glacialis. Endangered Species Research, doi: 10.3354/esr00800
  • Brillant S.W., Wimmer T., Rangeley R.W. et C.T. Taggart. 2017. A timely opportunity to protect North Atlantic right whales in Canada. Marine Policy, doi: 10.1016/j.marpol.2017.03.030
  • Cetacean bycatch and the IWC (IWC, 2004)
  • Crabe des neiges du sud du golfe du Saint-Laurent – Zone de pêche du crabe 12 (12, 18, 25, 26) – Prolongation de la saison de pêche (MPO, 10/07/2017)
  • Rolland R.M., Schick R.S., Pettis H.M., Knowlton A.R., Hamilton P.K., Clark J.S. et Kraus S.D. 2016. Health of North Atlantic right whales Eubalaena glacialis over three decades: from individual health to demographic and population health trends. Marine Ecology Progress Series, doi: 10.3354/meps11547
  • Pettis H.M., Rolland R.M., Hamilton P.K., Knowlton A.R., Burgess E.A. et Kraus S.D. 2017.
  • Il meurt en tentant de sauver une baleine au large de Shippagan (Radio-Canada, 10/07/2017)
Actualité - 28/7/2017

Béatrice Riché

Après plusieurs années à l’étranger, à travailler sur la conservation des ressources naturelles, les espèces en péril et les changements climatiques, Béatrice Riché est de retour sur les rives du Saint-Laurent, qu’elle arpente tous les jours. Rédactrice pour le GREMM de 2016 à 2018, elle écrit des histoires de baleines, inspirée par tout ce qui se passe ici et ailleurs.

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