On estime que 300 000 baleines, dauphins et marsouins meurent chaque année dans le monde à cause d’empêtrements. Malgré les efforts de dépêtrement, cette statistique persiste. Lors d’une entrevue avec Baleines en direct, Moira Brown et Mackie Greene, du Campobello Whale Rescue Team, présentent quelques suggestions pour prévenir les empêtrements.
Mieux vaut prévenir que guérir
La meilleure façon de protéger les baleines est d’empêcher les empêtrements de se produire en premier lieu. La protection des habitats essentiels et l’application des réglementations relatives à la pêche et à la navigation sont des facteurs importants.
Le Canada utilise des protocoles de fermetures adaptatives, impliquant des fermetures saisonnières et dynamiques de zones de pêche lorsque des baleines noires sont détectées visuellement ou acoustiquement. La loi exige également que les engins de pêche perdus, tels que les pièges, les filets et les cordes, soient immédiatement signalés à Pêche et Océans Canada (MPO). Ce programme de signalement est unique au Canada. Afin de réduire le risque de collision entre les navires et les baleines noires, Transports Canada met en œuvre des restrictions de vitesse lorsque des individus sont détectés visuellement ou acoustiquement.
La solution idéale pour éviter les conflits entre les industries de la pêche et les baleines migratrices est d’éviter le chevauchement des saisons de pêches et des migrations. « La plus grande partie de la pêche [dans la baie de Fundy] a lieu lorsque les baleines ne sont pas là [pendant la pêche au homard], et ne commence chaque année qu’au début du mois de novembre. C’est l’une des meilleures mesures de prévention », s’exclame Mackie Greene, Directeur du Whale Rescue. Dans le golfe du Saint-Laurent, une partie de la saison de pêche coïncide avec la présence de la baleine noire, les baleines arrivant à la fin du mois d’avril et au début du mois de mai. Afin de réduire le chevauchement entre la pêche et les baleines, l’une des mesures a été de faire venir des brise-glaces à Shippagan au Nouveau-Brunswick pour permettre un démarrage plus précoce de la saison de pêche au crabe des neiges. Le fait de mettre les bateaux de pêche à l’eau le plus tôt possible minimise le chevauchement avec la période où les baleines noires se trouvent dans le sud du golfe. Les pêcheurs et pêcheuses peuvent ainsi atteindre leur quota et mettre leurs casiers à l’eau plus tôt, avant l’arrivée des baleines, et éviter les prises accidentelles.
Chaque année, le MPO publie ses mesures de gestion des pêches visant à protéger la baleine noire de l’Atlantique Nord dans les eaux canadiennes. Ces mesures entrent en vigueur à la fin du mois d’avril. Les mesures comprennent une surveillance acoustique et visuelle, qui se traduit par une interdiction d’utiliser des engins de pêche pendant 15 jours après la détection d’une baleine. Les pêcheurs disposent d’au moins 48 heures pour retirer leurs engins, voire plus si les conditions météorologiques sont difficiles. Si les baleines noires persistent dans une zone, le MPO la ferme à la pêche à la corde pour le reste de la saison, jusqu’au 15 novembre.
Tout emmêlées
Le principal problème lié aux empêtrements est celui des cordes. S’il y avait moins de cordages, ou si les cordes n’étaient pas dans la colonne d’eau, elles poseraient moins de problèmes.
Le MPO collabore avec l’industrie de la pêche et des groupes autochtones pour étudier l’utilisation de cordages à faible résistance à la rupture, qui peuvent briser avec une force de 1700 livres, et l’utilisation de maillons faibles. L’hypothèse est que si une baleine trainait l’une de ces cordes, celle-ci se romprait, laissant les pièges derrière elle. Ces cordes sont actuellement testées dans les pêcheries de homard de la Gaspésie et de l’Île-du-Prince-Édouard afin de s’assurer qu’elles sont sûres et pratiques pour les pêcheurs.
Programmes de récupération
Le numéro d’identification obligatoire et le code couleur sur les engins de pêche permettent de tenir l’industrie de la pêche responsable de ses actions. Unique au Canada, une loi exige de signaler les engins perdus (ou trouvés). Cependant, ce n’est pas tout le monde qui peut récupérer l’engin. Toutes les activités de récupération nécessitent une licence en vertu de l’article 52 du règlement général sur la pêche. Ces dernières années, des programmes ont été mis en place pour permettre aux pêcheurs autorisés de remonter une bouée perdue. « Les pêcheurs ne sont normalement pas autorisés à remonter les engins de quelqu’un d’autre. Ils ne peuvent même pas remonter leurs propres engins une fois la saison du crabe des neiges terminée », précise Moira Brown, scientifique senior. Le Fonds pour les engins fantômes encourage les organisations à but non lucratif, les communautés autochtones et les agences gouvernementales à demander un financement, à recevoir une formation de base et, surtout, à retirer tous les engins de pêche abandonnés, perdus ou autrement rejetés (ALDFG). Il existe des projets de récupération d’engins de pêche le long de la côte, mais la plupart se trouvent dans le golfe du Saint-Laurent.
Comment peut-on perdre son équipement? S’il s’agit d’une bouée à la surface, on ne peut pas la voir de loin. Si elle est déplacée par les tempêtes, il est difficile de la retrouver. Parfois aussi, avec les marées, la bouée se retrouve coincée au fond de l’eau, et elle ne remonte que deux ou trois jours plus tard, expliquent Moira Brown et Mackie Greene.
Les baleines noires s’empêtrent dans des engins de pêche actifs, mais aussi dans des engins fantômes – engins de pêche perdus, jetés ou abandonnés – qui restent à la surface ou sont coincés au fond de l’eau. Les bouées intelligentes, comme celles produites par Blue Ocean Gear, sont dotées de traceurs GPS intégrés qui permettent de les récupérer plus rapidement grâce à une application. Les pêcheurs peuvent suivre les mouvements de leur matériel sur leur téléphone et le retrouver plus facilement. Les bouées intelligentes ont été utilisées dans les secteurs de la pêche, de l’aquaculture et de la recherche.
D'autres espèces prises entre deux feux
L’empêtrement est un problème qui ne touche pas seulement les baleines noires; d’autres mammifères marins et espèces aquatiques sont également affectés par les filets et les cordages flottant dans l’océan. Parmi les espèces concernées, les tortues, les requins et les raies sont également sensibles aux empêtrements.
Le Campobello Whale Rescue Team (CWRT) répond à des appels concernant des baleines à bosse, des petits rorquals, des rorquals communs et même des tortues luths (une espèce en danger). « Il s’agit surtout de baleines franches, mais nous nous fichons un peu. S’il s’agit d’une baleine empêtrée ou de n’importe quel autre animal marin, nous essayons de l’aider du mieux que nous pouvons », explique Mackie Greene. Lors d’une intervention récente, l’équipe a sauvé un petit rorqual qui s’était empêtré dans un barrage pour les harengs. Cela se produit lorsque les petits rorquals chassent leurs proies, puis nagent dans le piège, dont la sortie vers le rivage s’ouvre sur des eaux peu profondes.. En travaillant avec les pêcheurs, le CWRT donne des conseils sur la façon d’installer les filets au large. Elle recommande d’ailleurs d’y laisser quelques trous, de sorte que la baleine puisse sortir d’elle-même à marée haute.
De l’espoir pour l'avenir
Mackie Greene, directeur du CWRT, espère un jour ne plus avoir besoin d’effectuer ce travail. Son rêve de voir les baleines et l’industrie de la pêche cohabiter est de ceux qui devraient être partagés – et qui n’est peut-être pas si inaccessible après tout! Il espère que les baleines survivront et que les générations futures pourront elles aussi profiter de leur présence.