Mardi 27 août, 8h00. J’ai rendez-vous au laboratoire de l’équipe de recherche du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) à Tadoussac. Je rejoins les scientifiques qui préparent leur sortie, remplissant les valises d’équipement et de drones. C’est une danse bien organisée qui débute et qui laisse entrevoir ce qui s’en vient. À 8h15 nous quittons le quai sur Antarès, le nouveau bateau de l’équipe des bélugas. Direction : le fjord du Saguenay.

Le vent en poupe!

C’est une belle journée qui s’annonce, avec une brise qui fait fuir la brume dans le fjord. Pourtant, les conditions ne sont pas assez bonnes pour partir au large. Au travers des hublots, j’aperçois déjà plusieurs dizaines de bélugas bien éparpillés. Nous avons notre premier contact avec un troupeau.

Le béluga est une espèce en voie de disparition et il est hautement protégé dans le Saint-Laurent. Muni de permis de recherche, l’équipe respecte plusieurs protocoles et réglementations. Il faut, entre autres, attendre 15 minutes avant d’aller à la rencontre d’un groupe. Cela permet d’habituer les bélugas au bruit du bateau, et surtout d’analyser rapidement comment le groupe réagit à notre présence.

Tout un monde!

J’accompagne cinq membres de l’équipe de recherche, dont quatre assistants de recherche et le responsable de l’équipe qui encadre le tout, Timothée, aussi notre capitaine pour cette sortie. Jade-Audrey effectue aujourd’hui des tests pour le projet Fenêtre sur les Bélugas (FSB). Ce projet consiste à filmer les comportements d’un groupe de bélugas et d’identifier les associations qu’on peut voir entre les femelles et les veaux pour la recherche, tout en partageant en direct avec le public les vidéos captées par le petit drone. Les images seront retransmises en direct sur plusieurs sites d’observation terrestre ainsi qu’au CIMM à Tadoussac.

Mathieu travaille de son côté pour le projet Observatoire des bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent (ObsBESL). Il pilote un plus gros drone, le Matrice 300, à 50 mètres d’altitude et capture plusieurs photos de bélugas pour pouvoir effectuer la photogrammétrie – mesure de l’animal – par la suite. Estelle effectue la prise de données et se charge des drones au décollage et à l’atterrissage. Élizabeth, la dernière assistante de recherche, fait le décompte des bélugas que l’on rencontre et s’occupe de la photo-identification, un projet de recensement qui existe depuis les débuts du GREMM.

Une chose est sûre, entre l’observation des bélugas, les vols de drones, et les prises de données, il y a de l’action sur le pont d’Antarès!

Comme un béluga dans l’eau

À 8h45 notre capitaine annonce avec ferveur que nous mettons le cap sur les bélugas. À bâbord, à tribord, à 9 heures, à 4 heures, les bélugas parsèment le fjord. Ils viennent parfois à la rencontre du bateau ou vaquent à leurs occupations. Vite, Mathieu et Estelle préparent le drone pour le premier vol de la journée! Qui sait quand les cétacés vont plonger et disparaître dans les eaux turbides de la rivière Saguenay?

Changement de perspective

Chacun sur le navire a ses tâches. De la proue à la poupe, tout le monde s’entraide et rien ne semble être fait hâtivement, mais plutôt dans un calme ordonné. Il faut de la rigueur pour travailler dans la recherche, mais les scientifiques du GREMM n’oublient pas non plus d’avoir du plaisir et la bonne ambiance règne.

Le premier vol de drone débute un peu avant 9h00. On observe quelques bélugas qui semblent descendre le fjord vers le fleuve en suivant la marée. Le bateau reste stationnaire et le pilote ramène le drone vers 9h12. Avant d’effectuer un second vol, Mathieu change les batteries, de deux kilogrammes chacune, qui consomment beaucoup d’énergie! Le drone pèse un total d’environ 9 kg à porter pour Estelle. Une machine impressionnante!

Pendant que le DJI Matrice 300 est en vol pour ObsBESL, Jade-Audrey fait l’essai du second drone pour le projet FSB. Cela semble marcher comme sur des roulettes et encore une fois, tout se passe sans agitation et avec une grande coordination entre les scientifiques.

À 9h50 nous prenons la direction du Cap à la Boule, plus en amont dans le fjord. À 10h05, Jade-Audrey effectue le deuxième essai du drone pour les retransmissions en direct de FSB vers le CIMM et les sites d’observation. Aucun temps n’est perdu!

Antarès fut nommé en honneur à la femelle béluga née en 1940 et morte en 1994 à l’âge de 54 ans!© Thalia Cohen Bacry
Le drone dans les airs © Thalia Cohen Bacry
Élizabeth scrute les flots du fjord et fait le décompte de bélugas. © Thalia Cohen Bacry
On mesure le niveau du vent avant de faire décoller le drone. © Thalia Cohen Bacry
Protections pour la gestion du drone © Thalia Cohen Bacry
© Thalia Cohen Bacry

Les perles du Saint-Laurent

Certains bélugas semblent s’intriguer de notre présence. Je vois leurs yeux, des petites billes noires, nous fixant à travers l’eau. D’autres, au contraire, ne semblent pas intéressés et disparaissent assez vite. J’entrevois une mère et son veau sous la surface jaunâtre de l’eau. Le veau a encore des plis fœtaux et plusieurs marques sur sa peau. Les bélugas sont difficiles à identifier jeunes car leurs taches et autres marques disparaissent parfois aussi avec le changement de couleur de leur peau! Peut-être que l’équipe sera en mesure d’identifier celui-ci pour suivre sa croissance?

Le protocole de recherche prévoit de passer au plus 3 heures avec le même troupeau. Contact terminé, à 11h30 nous partons à la recherche d’autres bélugas en amont du Cap à la Boule, sans succès. Avec le vent qui se lève et la dégradation des conditions météorologiques, le vol des drones s’avère difficile. De plus, la mesure des bélugas dans l’eau pour la photogrammétrie se fait dans des conditions où l’eau est calme et sans vagues. Nous rentrons au quai sur les coups de midi.

Et après?

À midi et demi, la journée de recherche sur l’eau est finie. Mais le travail est loin d’être terminé! Pendant qu’une partie de l’équipe s’occupe du bateau, la seconde partie s’occupe du transfert et de la sauvegarde des données. Résultat de 4 heures passées sur l’eau : 3709 photos prises au terme de 5 vols différents à partir de l’appareil photo fixé sur le drone M300 utilisé pour la photogrammétrie de ObsBESL. Ce drone prend 5 photos/seconde lorsqu’il est au-dessus des bélugas. Pour le projet FSB, l’équipe a fait voler le drone pendant 30 minutes et 55 secondes. Les quelques vidéos enregistrées seront aussi analysées pour une étude des interactions sociales. Du côté de la photo-identification, Élizabeth a capturé 204 photos d’individus et de flancs différents. Ces clichés seront ensuite triés et renommés avant d’être analysés. Un long travail en perspective! Pour ma part la journée n’est pas terminée non plus et je m’en reviens au bureau de la rédaction les méninges bien oxygénées par cette sortie en mer.

Aujourd’hui j’ai eu le privilège d’observer une partie du travail qu’effectue la l’équipe de recherche du GREMM presque tous les jours et de voir leur fonctionnement. De même, j’ai contemplé les bélugas de près et de loin effectuer un déplacement qu’ils font eux aussi presque tous les jours, tout en en découvrant un peu plus sur leur comportement. Je tangue un peu pour le reste de l’après-midi mais ce n’est pas cher payé en échange des nombreux souvenirs que je retiens d’une matinée peu commune pour moi !

Carnet de terrain - 17/10/2024

Thalia Cohen Bacry

Thalia Cohen Bacry est rédactrice scientifique pour le GREMM après avoir été naturaliste en 2023. Diplômée de UBC, elle a complété une maîtrise en études internationales à l’Université Laval et poursuit un apprentissage dans plusieurs domaines, dont la géographie, les sciences politiques et le comportement animal. Fascinée depuis toujours par la protection de l’environnement, elle a grandi en Savoie, entourée des lacs et des montagnes, avant d’immigrer au Canada et de découvrir des espaces encore plus grands et plus sauvages. Intrépide, curieuse, et persévérante elle aime apprendre, observer, et analyser afin de sensibiliser à la sauvegarde de nos océans et ainsi contribuer à leur protection.

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