Cette année, le déclin du couvert de glace sur le Saint-Laurent, amorcé depuis quelques décennies, est particulièrement marqué. Or, les différentes espèces de phoques qui vivent de manière saisonnière ou à l’année dans le Saint-Laurent se sont adaptées à la présence de la banquise, notamment pour la mise bas. L’absence de glace inquiète certains de nos observateurs : peut-elle affecter les phoques du Saint-Laurent? Pour Mike Hammill, chercheur scientifique et chef de la Section des mammifères marins à l’Institut Maurice-Lamontagne pour Pêches et Océans Canada, la réponse est oui, surtout pour le phoque gris et le phoque du Groenland. Il nous partage ses observations à ce sujet.
Les phoques du Groenland, obligés de se réorienter
La glace du Saint-Laurent est une ressource importante pour les phoques communs, les phoques gris, mais particulièrement pour les phoques du Groenland. Quand elle est ferme et suffisamment grande, la banquise permet aux femelles de mettre au monde leurs petits en étant à l’abri des prédateurs. «Aux mois d’octobre et novembre, les individus remontent le Saint-Laurent. Ils vont souvent à Tadoussac pour chercher leur nourriture jusqu’en février. Ensuite, ils descendent dans le golfe, vers les iles de la Madeleine, et un peu partout dans le golfe du Saint-Laurent», explique Mike Hammill. La banquise madelinienne accueille annuellement les femelles qui donneront naissance à un «blanchon» à la fin de l’hiver.
Depuis quelques années, la réalité se transforme et la température de l’eau se réchauffe par secteurs dans le golfe et l’estuaire. Les phoques du Groenland seraient les plus vulnérables face à ce changement dans l’écosystème, souligne le chercheur. D’après des résultats d’une étude datant de 2014, les petits des phoques du Groenland ont un taux de survie faible lorsqu’ils sont mis au monde sur la terre ferme.
«Les femelles ne mettront presque jamais bas sur la plage, souligne le biologiste. Plutôt systématiquement, quand un petit se trouve sur la plage, il va mourir: la femelle va l’abandonner ou un coyote ou un renard va le manger. Cette espèce n’est pas adaptée à mettre bas sur la terre, nous ne savons pas encore pourquoi précisément. Il y a souvent une forte mortalité pour eux quand la glace disparait.»
Un autre territoire leur offre des conditions plus favorables. «Quand il n’y a pas de glace, au lieu de mettre bas dans le golfe du Saint-Laurent, les mères donneront naissance probablement au large de Terre-Neuve. Il y a une colonie là-bas et, quand les phoques voient que la glace est manquante dans le fleuve, ils vont parfois vers Terre-Neuve», explique le spécialiste.
Phoques gris et communs : des répercutions plus limitées
On trouve les phoques gris sur toute la Côte-Nord. L’arrivée tardive de la glace cet hiver pousse plusieurs femelles à choisir la terre ferme pour donner naissance. Elles arrivent à s’y adapter et leur nouveau-né survit habituellement. Mais les risques de mortalité sont plus importants. «Si l’espace est limité sur une plage où les femelles ont mis bas, il y a plus de mâles à proximité. Le petit risque d’être écrasé ou mordu par un mâle. Des fois, il y a de la saleté et des excréments qui peuvent causer plus de problèmes de santé que sur la banquise. Les coyotes peuvent aussi manger les petits», nuance le chercheur.
La banquise réduite semble tout de même invitante pour quelques mères qui s’aventurent à y mettre bas. Des complications s’envisagent: si la glace trop faible cède, le petit peut être jeté à l’eau. Les mortalités sont plus fréquentes dans ce contexte. Cet hiver, Mike et son équipe ont vu peu de phoques gris sur les banquises en raison du très faible couvert glacé.
Les petits des phoques communs, quant à eux, se présentent à la fin du mois de mai, à une période où la glace est généralement absente. Cette espèce ne serait pas directement touchée de ce côté par la diminution de glace, bien qu’on les observe s’y reposer durant l’hiver. Cette réduction de glace affecte-t-elle d’autres besoins que la mise bas pour les phoques communs? À suivre.
Prévisions à long terme avec les changements climatiques
Sur l’ile d’Anticosti, de nouvelles colonies de phoques gris ont été découvertes dans les dernières années. Mike Hammill affirme qu’elles n’existaient pas au début de sa carrière. Il attribue ce changement aux hivers plus doux, une bonne condition pour les petits.
Ses prévisions restent toutefois peu optimistes concernant le phoque du Groenland dans le fleuve en hiver : «Je pense que d’ici 50 ans, si les conditions restent les mêmes qu’en ce moment, le phoque du Groenland va disparaitre du golfe». Il estime que, certaines années, la glace redeviendra suffisante en hiver sur le fleuve pour accueillir la population qui vient dans le Saint-Laurent. Cependant, leur venue sera de plus en plus compromise à long terme par les faibles glaces. Les recherches sur ce mammifère marin seront potentiellement plus actives à Terre-Neuve, dans la mesure où les phoques du Groenland privilégieraient cette banquise au couvert de glace plus fiable année après année.