Peut-on vraiment évaluer les impacts sur les bélugas du Saint-Laurent d’un projet qui augmentera le trafic maritime sur le Saguenay à la pièce, sans prendre en considération l’ensemble des projets de développement? C’est la question que soulève le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec (BAPE) dans son rapport d’enquête et d’audience publique sur le projet d’usine de transformation de concentré de fer en fonte brute et en ferrovanadium à Saguenay. Ce projet promu par Métaux BlackRock inc. (MBR) inclut la construction d’une usine de transformation dans la zone industrialo-portuaire de Grande-Anse, à Saguenay, et le transport par bateau des produits. À terme, 20 à 25 navires par année (environ 2 par mois) quitteraient le port de l’usine sur le Saguenay avant de rejoindre des ports en Amérique, en Europe et en Asie.

Dans le rapport du BAPE, plusieurs possibles impacts sur l’environnement sont évalués, dont ceux sur le béluga du Saint-Laurent, une population en voie de disparition. La principale menace potentielle amenée par le projet est liée au bruit généré par le transport maritime. Dès le sommaire du rapport, il est expliqué que «Pris isolément, les 25 navires par an du projet auraient probablement un impact limité sur le béluga. L’évaluation des impacts de la navigation sur cette population devrait cependant être effectuée de façon globale [par les différents ministères impliqués], afin de prendre en compte l’effet cumulatif des projets nécessitant du transport maritime prévus pour les prochaines décennies au regard du principe de développement durable [dans le] respect de la capacité de support des écosystèmes.»

L’évaluation des impacts de la navigation sur cette population devrait cependant être effectuée de façon globale, afin de prendre en compte l’effet cumulatif des projets nécessitant du transport maritime prévus pour les prochaines décennies.
– Rapport du BAPE

En effet, de nombreux projets de développement portuaire sont en évaluation en ce moment et les navires qui quitteront ces nouveaux ports ou les ports agrandis traverseront l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent. Selon le rapport, «Seulement pour la portion du Saguenay couverte par la zone d’étude de MBR, où l’on dénombrait annuellement en moyenne 225 navires entre 1988 et 2015, il est estimé que ce nombre pourrait passer à 460 en 2020 et 635 en 2030 si les projets industriels connus se réalisaient tous.»

L’évaluation des projets à la pièce ne semble donc pas permettre de prendre la pleine mesure des risques. En 2016, le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) qui étudie les bélugas depuis près de trente-cinq ans, recommandait à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale de considérer les effets potentiels globaux des projets et non pas de les évaluer séparément. Cet été, des experts de Pêches et Océans Canada recommandait d’user de prudence dans le développement maritime, puisque les effets du bruit sur les bélugas ne sont pas encore bien connus.

Parmi les autres projets de développement sur le Saguenay, notons celui du port minier lié au projet Arianne Phosphate qui pourrait amener à lui seul 140 navires de plus chaque année. Ce projet a d’ailleurs reçu l’aval de la ministre canadienne de l’Environnement, Catherine McKenna, le 22 octobre dernier. En entrevue au journal Le Devoir, le directeur scientifique du GREMM, Robert Michaud, déclarait au sujet du projet d’Arianne Phosphate le 24 octobre dernier : «C’est une augmentation considérable du bruit dans l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent. C’est un élément perturbateur majeur de plus dans leur environnement.»

Actualité - 1/11/2018

Marie-Ève Muller

Marie-Ève Muller s’occupe des communications du GREMM depuis 2017 et est porte-parole du Réseau québécois d'urgences pour les mammifères marins (RQUMM). Comme rédactrice en chef de Baleines en direct, elle dévore les recherches et s’abreuve aux récits des scientifiques, des observateurs et observatrices. Issue du milieu de la littérature et du journalisme, Marie-Ève cherche à mettre en mots et en images la fragile réalité des cétacés.

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