Après avoir suscité la curiosité l’été dernier dans l’estuaire, un rorqual commun à l’apparence trompeuse a de nouveau attiré l’attention. En comparant des photos prises en 2012 et en 2024, et grâce à une biopsie effectuée sur l’individu en 2012, le chercheur Julien Delarue et l’équipe de la station de recherche des îles Mingan (MICS) ont pu confirmer son espèce. Un rorqual hybride, mi-rorqual commun, mi-rorqual bleu, nage dans le Saint-Laurent!

C’est en voyant des photos du grand rorqual publié dans l’article des observations de la semaine de Baleines en direct sur le sujet en juin 2024 (prises par Renaud Pintiaux) que l’ancien spécialiste des grands rorquals pour le MICS Julien Delarue s’est rappelé une observation où il avait photographié l’hybride. « Nous avons vu cet animal la première fois à Mingan en 2006, » explique-t-il. « Nous avions déjà noté à ce moment sa couleur bleuâtre et même une pigmentation légèrement mouchetée par endroit qui rappelait un peu celle d’une bleue. Nous avions donc déjà la suspicion que cela pourrait être un hybride bleu-commun. » Une biopsie effectuée par le chercheur Christian Ramp par la suite est venue attester l’identification.

La biopsie est le seul moyen de confirmer hors de tout doute qu’il s’agit d’un rorqual hybride. L’opération consiste à prélever un échantillon de peau ou de gras afin de pouvoir l’analyser par la suite. Dans le cas présent, cette technique de recherche a permis de savoir non seulement que l’individu est un hybride, mais aussi que c’est un mâle. L’équipe du MICS l’a surnommé Bleuet en raison de sa couleur bleutée à l’époque de ses premières observations. Julien Delarue confirme que le statut de l’hybride « a été confirmé [grâce à une] analyse par le labo de Per Palsboll et Martine Bérubé (Palsbøll lab, Université de Groningen) de la biopsie prélevée à Mingan en 2012. »

Au niveau de la photo-identification, l’animal possède maintenant une encoche sur sa nageoire dorsale qui facilitera son identification dans le futur. Auparavant, il était seulement possible de le reconnaitre par son flanc droit, grâce à son patron de coloration.

En 2024, l’hybride a passé quelques semaines dans l’estuaire entre le 11 juin et le 3 juillet. Le naturaliste et photographe animalier Renaud Pintiaux a pu prendre des photos de l’individu et a soulevé l’hypothèse qu’il s’agissait d’un hybride. Malgré une apparence générale de rorqual commun, plusieurs traits  l’ont amené à soupçonner un mélange avec un rorqual bleu : la coloration pâle, une grande taille et les évents plus larges. Renaud Pintiaux a également eu l’occasion de revoir l’animal cet hiver dans l’estuaire. Les observateurs et observatrices parcourant les rives se sont questionnés sur l’identité du grand rorqual toute la saison. Ils et elles auront maintenant une réponse satisfaisante!

L’hybridation, un phénomène rare?

Alors que l’évolution des rorquals bleus et des rorquals communs a divergé il y a 8,35 millions d’années, il est légitime de se demander pourquoi les deux espèces se reproduisent. Le manque de partenaires, les perturbations dans l’environnement pourraient être des causes de l’hybridation. Ce ne serait cependant pas un nouveau phénomène, puisqu’une étude a démontré que l’ADN des rorquals bleus contiendrait en fait 3,5%  de gènes des rorquals communs.

Des recherches récentes ont aussi attiré les projecteurs sur les enjeux de conservation résultant de cette hybridation. Les caractéristiques physiques mélangées entre les deux espèces posent plusieurs problèmes d’identification. L’intégrité génétique des rorquals bleus, une espèce en voie de disparition est également menacée par ce phénomène. De son côté, le rorqual commun a un statut de conservation «préoccupant».

Des analyses génétiques ont confirmé la fertilité de certains hybrides, y compris un cas de deuxième génération issu d’une femelle hybride et d’un mâle rorqual commun. Bleuet pourra-t-il se reproduire? Impossible de le dire pour l’instant, puisque la fertilité des mâles hybrides n’a pas encore été confirmée.

La présence d’un hybride dans le Saint-Laurent souligne l’importance de surveiller ce phénomène chez les rorquals pour mieux comprendre ses implications sur la biodiversité et adapter les stratégies de conservation en conséquence.

Non classifié(e) - 17/4/2025

Andréanne Forest

Andréanne Forest est rédactrice en chef de Baleines en direct depuis mai 2022. Après des études en environnement et en biologie, elle se tourne vers la communication scientifique dans l’objectif de rendre la science à la fois accessible et amusante. Andréanne souhaite mettre en lumière la démarche d’acquisition de connaissance tout en transmettant le désir d’apprendre.