La saison dorée se dessine pour nos reines des mers, qui se préparent tranquillement – mais sûrement! – à entamer leur deuxième grande migration annuelle. Les baleines se remplissent la panse à grandes bouchées de krill, stockant l’énergie nécessaire à leur voyage vers un hiver dans les Caraïbes, et à un jeûne de plusieurs mois! Une fois bien engraissées, elles pourront repartir vers le Sud et se blottir dans la quiétude d’un hiver bien au chaud. Cette semaine, les rorquals à bosse volent encore la vedette, mais la présence de thons dans le fleuve et la migration des oiseaux marins marquent aussi les esprits.

À la lisière du rêve et de la réalité

Samedi, 16 septembre 2023. Une journée qui restera gravée dans bien des mémoires, et particulièrement dans la mienne. Après une saison relativement calme côté observations – je n’ai pas été des plus assidus! – voilà que je suis témoin d’un événement assez peu observé dans le monde marin : la présence de plusieurs rorquals à bosse rassemblés au même endroit et s’alimentant en surface.

Imaginez-vous en train d’assister à un épisode captivant d’un documentaire animalier, avec la voix envoûtante de David Attenborough vous transportant au cœur de l’action. Notre bateau se laissait doucement bercer par les vagues formées par les barres de courant, tandis que les rorquals à bosse engouffraient de grandes lampées d’eau, espérant ainsi faire prisonnier de leur gueule le plus de krill possible. Encerclant l’embarcation, ces puissantes créatures nous offrent le spectacle d’une vie, se faufilant même sous le bateau pour ressortir un peu plus loin sous des regards complètement extatiques. Par moments, elles nageaient en parfaite synchronisation, laissant entrevoir une forme d’entraide entre elles. En effet, le rorqual à bosse est réputé pour collaborer occasionnellement avec ses congénères afin d’accroître son succès lors de la chasse. Certains individus usent même de leurs nageoires pectorales pour amener les poissons à leur gueule.

Le sentiment d’une intimité profonde partagée à la fois avec les baleines et entre nous, procurant un moment d’euphorie totale, nous rappelle l’ampleur du privilège qui nous est accordé. Il est essentiel de ne jamais oublier que nous sommes ceux qui pénétrons dans leur habitat et non l’inverse, ce qui exige un respect inconditionnel.

Les remous de la vie marine… et des changements climatiques!

Cette semaine, la faune marine a fait des vagues dans l’estuaire et le golfe, figurativement et littéralement! D’abord, la présence notable de thons un peu partout dans le fleuve soulève des interrogations chez les gens qui observent leurs prouesses pour la première fois. Des drôles d’éclaboussures et de vifs sauts hors de l’eau confirment effectivement la présence de thons rouges dans le Saint-Laurent. Leur forme hydrodynamique est une merveilleuse adaptation pour la chasse en milieu marin, leur offrant la capacité de naviguer rapidement dans les eaux avec des pointes de vitesse atteignant jusqu’à 100 km/h!

Ces grands carnassiers peuvent atteindre deux mètres de longueur, peser jusqu’à 600 kg et vivre jusqu’à 40 ans. Ils sont aussi de grands migrateurs : ils peuvent parcourir jusqu’à 10 000 km en une seule année. Toutes ces caractéristiques en font des animaux assez faciles à observer et à identifier!

Les observateurs et observatrices ainsi que les experts s’interrogent toutefois sur la présence accrue du thon rouge dans l’environnement fluvial, qui a été remarquée depuis une dizaine d’années par les experts scientifiques de Pêches et Océans Canada (MPO). Quelles déductions peut-on tirer de cette augmentation marquée de la présence de thons plus au nord?

Selon Jacques Gélineau, observateur de mammifères marins et collaborateur pour la Station de recherche des îles Mingan (MICS), l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent deviendrait de plus en plus un lieu refuge pour les espèces d’eaux froides et tempérées, moins bien adaptées aux températures océaniques plus chaudes provoquées par les changements climatiques. Selon l’organisme européen Copernicus, l’été 2023 est le plus chaud jamais mesuré. Une hausse des températures qui touche les continents de plein fouet, mais aussi la mer… Dans le golfe et l’estuaire, de la Gaspésie à la Côte-Nord, les eaux en surface ont atteint 17°C, soit trois degrés de plus que la normale saisonnière! Les scientifiques du MPO ne parviennent toutefois pas à déterminer si cette présence accrue de thons découle de l’évolution de la température des océans, de la disponibilité des proies, de l’augmentation de la population de thons rouges, ou d’une combinaison de ces facteurs.

Il est indéniable qu’un processus de transformation profonde est en cours dans le Saint-Laurent, représentant une menace directe pour les baleines et l’ensemble de la biodiversité marine. Ce nouveau phénomène pourrait avoir des impacts considérables sur l’abondance et la distribution des proies, contraignant certaines espèces à adapter leurs schémas de migration et leurs zones d’alimentation. « Le Saint-Laurent est devenu une véritable boîte à surprises », remarque Patrice Corbeil, codirecteur du GREMM.

L’avenir demeure incertain et seul le temps sera révélateur des réelles répercussions de notre utilisation effrénée de combustibles fossiles, plus grands contributeurs à la crise climatique mondiale, sur la biodiversité marine.

Splish, Splash, Sploush!

Sur une note plus exaltante, une dizaine de rorquals à bosse ont offert un spectacle rarissime aux quelques individus fortunés présents au bon endroit, au bon moment, jeudi 14 septembre! Ce ne sont pas des dizaines, mais bien des centaines de breachs qu’ont pu admirer les spectateurs et spectatrices ébahis. H919, dit Titlo, aurait breaché une cinquantaine de fois, alors qu’Yvon et Éline auraient effectué ces acrobaties des dizaines de fois! Même un jeune rorqual – possiblement le sixième baleineau de Tingley – a fait preuve de son agilité en effectuant une trentaine de sauts. Se pouvait-il que ce soit ses premières performances aériennes? Peut-être pas, mais elles ont sans aucun doute ému profondément les observateurs et observatrices. Renaud Pintiaux, naturaliste et photographe animalier, décrit la fébrilité palpable qui régnait au large : « C’était complètement hors du commun, irréel. Des larmes, des sourires, de l’incrédulité, du bonheur à l’état pur. » Lors d’un saut, la baleine émerge à une vitesse de 15 nœuds, avec près de 90 % de son corps hors de l’eau, selon un angle d’inclinaison de 30° par rapport à la verticale, avant d’effectuer une acrobatie aérienne en demi-tour pour retomber sur son dos!

Les hypothèses émises par les experts pour expliquer ce comportement relativement peu récurrent se multiplient : alimentation, amélioration de la capacité de plongée, jeu, communication? Ces sauts semblent effectivement devenir plus fréquents lorsque le groupe le plus proche se trouve à une distance de plus de quatre kilomètres, surtout en période de conditions météorologiques défavorables où le vent et les vagues ont tendance à masquer les vocalisations des cétacés.

Le temps est aux oiseaux de mer

Cette semaine, une multitude d’oiseaux de mer ont été observés au large des côtes, effectuant des piqués dans l’eau à la recherche de succulentes proies, tout comme les baleines. Le fulmar boréal, plusieurs espèces de labbes, la sterne arctique, le puffin fuligineux, le puffin des Anglais et le puffin majeur, la mouette de Sabine, la mouette de Franklin et la mouette pygmée, ainsi que le macareux moine ont pu être observés! Le fulmar boréal possède une particularité biologique étonnante : il est doté d’une glande de dessalage de l’eau de mer qui lui permet de la boire sans se déshydrater. Le sel est rejeté au niveau des narines qui possèdent une morphologie bien particulière!

Des baleines aux quatre coins du fleuve

À Sept-îles et ses environs, Jacques Gélineau, collaborateur pour le MICS, nous transmet ses nombreuses observations. Un total de dix baleines noires aurait été vu lundi lors d’une sortie sur l’eau avec l’équipe du MICS. Les baleines étaient en groupes de deux à trois individus, le plus grand atteignant cinq individus. Celles-ci semblaient en période d’accouplement. Au retour, un rorqual commun et un rorqual à bosse ont fait leur apparition, en plus de trois autres communs en face de Rivière-Saint-Jean. En s’en allant vers Anticosti, l’équipe a aussi observé un total de cinq ou six petits rorquals. Habituellement, les petits rorquals se tiennent plus près des côtes pour se nourrir du capelan, mais cette année, ceux-ci semblent se retrouver plus au large. Serait-ce parce que le capelan s’est fait plutôt rare cette année

Nos yeux aiguisés basés à Franquelin rapportent la présence de petits rorquals et de deux rorquals à bosse. Les souffles étaient bien visibles et dimanche soir, ils auraient même eu droit à un breach! Des phoques et des marsouins étaient aussi présents, fidèles à leurs habitudes.

À Tadoussac, une observatrice aguerrie et employée du GREMM nous fait part de ses observations : « Dimanche soir, plusieurs bélugas nageaient à la pointe de l’Islet dans les reflets du soleil couchant, et ils ont été rejoints par deux petits rorquals peu de temps après. C’était splendide! » Lors d’une croisière aux oiseaux pélagiques organisée dans le cadre du festival des oiseaux migrateurs, une passionnée d’ornithologie – et de baleines! – a observé beaucoup de marsouins, un possible rorqual commun et plusieurs phoques gris.

Aux Escoumins, une amoureuse de la biodiversité marine nous raconte ses aventures : « En croisière aux Escoumins, quatre rorquals à bosse sont présents entre le quai des Pilotes et Les Îlets. Éline est apparue dans la Baie des Anémones au moment du dernier départ de la journée. Elle a fait un bout vers l’est, demi-tour, nous raccompagnant à quai. J’ai pu la revoir une fois sur la terre ferme, alors qu’elle replongeait vers l’est. J’ai donc décidé d’aller observer du quai de la traverse, et sans la voir venir, elle est sortie tout juste devant moi, les rayons du soleil couchant colorant tout le blanc du patron de sa caudale. »

Où sont les baleines cette semaine? La carte des observations

Ces données ont été rapportées par notre réseau d’observatrices et observateurs. Elles donnent une idée de la présence des baleines et ne représentent pas du tout la répartition réelle des baleines dans le Saint-Laurent. À utiliser pour le plaisir!

Cliquez sur les icônes de baleine ou de phoque pour découvrir l’espèce, le nombre d’individus, des informations supplémentaires ou des photos de l’observation. Pour agrandir la carte, cliquez sur l’icône du coin supérieur droit. La carte fonctionne bien sur Chrome et Firefox, mais pas aussi bien sur Safari. Pour faire apparaitre la liste des observations, cliquez sur l’icône du coin supérieur gauche.
Observations de la semaine - 21/9/2023

Kiev Ashcroft-Gaudreault

Kiev Ashcroft-Gaudreault rejoint l’équipe du GREMM en 2023 en tant que rédactrice scientifique. Passionnée par une langue de Voltaire tout en subtilités, elle entame un baccalauréat en rédaction professionnelle pour finalement changer de cap vers un domaine qui l’anime encore plus : l’environnement! Elle souhaite mettre à profit l’alliance de ses deux formations pour prêter sa voix aux êtres qui n’en ont pas et espère faire naitre chez le public ce sentiment de poésie qui l'habite chaque fois que son regard survole le large.

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