Guylaine 

Le réveil matin sonne, une autre mission m’attend aujourd’hui. Avant de sortir de mon lit, je consulte dame Nature pour voir si elle a mis tous les éléments en place pour une journée terrain. Eh voilà, tout y est ! J’ai un grand sourire. Jeanne et moi sommes assistantes de recherche et pilotes de drone, nous formons l’une des Brigade Béluga dans le cadre du projet Fenêtre sur les Bélugas. Alors que l’autre équipe de la Brigade est située de l’autre côté du fleuve, à Gros-Cacouna, notre site terrain est situé dans la Baie Sainte-Marguerite dans le parc national du fjord du Saguenay, une aire de repos et de socialisation connue pour les troupeaux de bélugas.  À l’aide d’un drone, nous survolons des groupes de bélugas résidents du Saint-Laurent, une population en voie de disparation, à des fins scientifiques, pour collecter des données, ainsi que pour des activités d’éducation avec un système de captation et de diffusion. Mon sac à dos à l’épaule, je suis enfin prête à quitter la maison pour une autre journée palpitante.

 

Jeanne 

« Bon matin! » Guylaine et moi-même connaissons maintenant bien la rengaine habituelle : «Météo?, je lui demande. As-tu vérifié les vents? Brouillard, la pluie, l’indice Kp (lié aux perturbations des activités solaires)?» S’enchainent ensuite les mises à jour, le formatage, l’inspection du matériel…les acronymes et checklists sont à notre disposition pour ne rien oublier! Quand tout est prêt, la dernière question surgit : « Simple ou allongé ce matin »?

 

C’est parti!

Jeanne

Arrivées à la Baie Sainte-Marguerite, tout l’équipement soigneusement empaqueté est transféré dans notre remorque, puisque c’est en pédalant que nous nous rendons à la halte aux bélugas. Cette halte bien prisée agit à titre de carrefour d’observation où se côtoient les visiteurs, l’équipe de recherche de Parcs Canada, les naturalistes de la Sépaq, ainsi nous-mêmes, la brigade Béluga!  Sur place, on s’active à un autre cycle de gestuelles bien apprises: arrimage du système de captation et de diffusion pour le partage en direct des enregistrements vidéo et installation du périmètre de sécurité pour les vols de drones, à distance des visiteurs.

Une fois prêtes sur notre rocher, on scrute l’horizon. « Béluga! », lance Guylaine. Oh non… ce n’est qu’un autre mouton, ces petites vagues qui créent de l’écume et qui nous jouent des tours. L’heure d’arrivée de nos canaris des mers et même la longueur de leur séjour dans la baie n’est jamais prévisible. Car même si la majorité de notre temps nous nous affairons à contrôler plusieurs paramètres sur terre ou en vol, celui que l’on ne contrôle pas c’est bien la présence même de notre sujet d’étude!  Mais quand les petits dos blancs arrondis se pointent bien à l’horizon, on s’anime avec excitation pour se préparer à décoller…

Moteur! 3-2-1 Décollage!

Guylaine

Survoler des bélugas à des fins scientifiques demande rigueur et communication, surtout puisque nous devons remplir plusieurs objectifs de recherche. D’abord, à l’aide d’images capturées par le drone, il est possible de calculer les mensurations des individus afin d’évaluer leur état de santé, à l’aide d’une méthode qui se nomme la photogrammétrie.

En survolant le troupeau groupe par groupe, on peut aussi déterminer sa composition, par exemple : veau (nouveau-né), bleuvet (jusqu’à 2 ans), gris (juvénile) et enfin blanc (adulte). Ensuite, le suivi aérien de groupes définis d’individus permet d’observer toutes sortes de dynamiques comportementales, ce que l’on qualifie de suivi focal. Enfin, les signes distinctifs comme les taches ou les cicatrices observées sur certains bélugas seront utiles plus tard à l’équipe de recherche dans un but de photo-identification.

De pair, Jeanne et moi échangeons de rôle comme pilote ou assistante-pilote. Alors que la pilote demeure concentrée à manier la manette qui contrôle le drone en respectant les spécificités liées au protocole scientifique, l’assistante-pilote collige les données sur la feuille terrain et s’assure que les éléments de sécurité soient respectés. Malgré la distance avec les visiteurs lors de nos opérations de vols, nous sommes tout de même en contact avec eux, grâce au système de captation pour le volet éducation. Sur la Halte aux Bélugas, Andrée-Laurence, naturaliste de la SÉPAQ, décrit au public nos images diffusées en direct sur un écran. C’est chouette de partager avec le public une partie de notre travail et de leur permettre d’avoir une autre perspective, à vol d’oiseau ! Mais surtout, de savoir que le discours de la naturaliste les a sensibilisés à l’importance de protéger les bélugas. Mission accomplie !

Jeanne 

Une fois le dernier vol complété, la journée est loin d’être terminée! Après avoir plié bagage, on se rend jusqu’au bureau où la saisie de données nous attend. La synchronisation des données de vol se fait donc par l’une, pendant que l’autre veille à préparer le matériel pour le lendemain, tout en débutant la saisie informatique des données de nos feuilles de terrain du jour. Éventuellement, ou par temps de pluie, on étiquette les images filmées selon un système de codes prédéterminé et on dénombre la taille des troupeaux observés, à partir de nos vidéos pris à haute altitude. Des «oh» et des «ah» d’émerveillement se font entendre, lorsque notre grand écran nous permet de voir des scènes attendrissantes, qui avaient échappé à nos yeux de pilotes rivés sur la tâche délicate de filmer les bélugas en mouvement. Toutes ces informations classifiées, ces tableaux Excel saturés de données sur les conditions de vol ou la composition des troupeaux, permettront à l’équipe de recherche cet hiver de poursuivre l’analyse dans le cadre du projet de l’Observatoire des bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent.

Au final, survoler les bélugas du ciel, c’est aussi paradoxalement offrir la possibilité de plonger dans leur monde, une immersion à la fois scientifique et éducative!

Le projet Fenêtre sur les bélugas est un projet collaboratif géré par le GREMM et le ROMM en partenariat avec Raincoast Conservation Foundation, Parcs Canada, la Sépaq et la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. Il est rendu possible grâce à un investissement de 1,1M$ de Pêches et Océans Canada grâce au Fonds de la nature du Canada pour les espèces aquatiques en péril (FNCEAP), et à un investissement de 600 000$ du gouvernement du Québec (ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs et ministère du Tourisme du Québec).

 

Par Guylaine Marchand et Jeanne LaRoche

Carnet de terrain - 22/9/2022

Collaboration Spéciale

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