Depuis le début de la saison des naissances des baleines noires, ce sont maintenant 7 nouveau-nés qui ont été observés. Bien que l’annonce d’une septième naissance soit encourageante, on ne peut malheureusement pas parler d’un baby-boom. Chez cette espèce en voie de disparition, une dénatalité est constatée depuis 2010. Chaque naissance est donc un petit pas vers son éventuel rétablissement. Mais pour parler de baby-boom, il faudrait bien plus de naissances.

Depuis 2009, seulement 3 autres années ont été aussi peu productives : 7 nouveau-nés en 2012, 5 en 2017 et 0 en 2018. D’ailleurs, depuis 2009, il y a en moyenne 15,4 naissances par année. Selon le Fish and Wildlife Research Institute de la Floride, il faudrait observer un minimum de 16 veaux cette saison pour que la natalité se traduise en une croissance de la population. Lorsque la natalité n’est pas suffisante, elle ne permet pas de compenser la mortalité élevée de la population. En effet, les baleines noires sont particulièrement à risque d’empêtrements puisqu’elles s’alimentent en surface. En 2017, c’est 18 carcasses de baleines noires qui ont été retrouvées dans l’Atlantique Nord, dont certaines sont mortes de collision ou d’empêtrement sévère. Il faut donc faire preuve de prudence avant d’affirmer qu’un changement est nécessairement significatif pour la croissance de la population. Toutefois, les baleines noires ont encore le temps de nous surprendre puisque la saison de mise bas se termine en mars!

La saison 2019 est encourageante par rapport à 2018, mais la natalité est inférieure à la moyenne. Depuis 10 ans, toutes les saisons de reproduction ont mené à un plus grand nombre de nouveau-nés, à l’exception de 2012, 2017 et 2018. La saison de mise bas n’est pas terminé et on pourrait donc observer encore quelques naissances en 2019. Les données proviennent de (2018) Pettis, H. M., R. M. Pace et P. K. Hamilton North. 2018 Annual Report Card. (United States). North Atlantic Right Whale Consortium.

Des naissances en contexte de dénatalité

La population mondiale de baleines noires de l’Atlantique Nord est estimée à 411 individus. De ce nombre, environ 75 seraient des femelles en âge de se reproduire. Pourtant, en 2018, aucun baleineau n’a été observé et seulement 5 l’ont été en 2017. Le nombre de baleineaux observé chaque année est donc très différent de ce qui serait normalement attendu. Le taux de natalité a diminué de 40% entre 2010 et 2016. De plus, l’intervalle moyen entre chaque naissance pour une femelle donnée est passé de 4 à 10 ans. À titre de comparaison, cet intervalle est de 3 ans chez sa cousine du Sud, la baleine noire australe. La diminution du nombre de grossesses menées à terme et l’augmentation du nombre de décès de nouveau-nés non documentés sont des raisons qui pourraient expliquer ces intervalles inhabituels.

La grossesse et l’allaitement sont des processus très couteux en énergie pour les femelles qui doivent avoir accès à suffisamment de nourriture pour maintenir leur poids. Les copépodes, nourriture préférée des baleines noires, se font de plus en plus rares dans les aires estivales traditionnelles, entre la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-Écosse. Cela expliquerait pourquoi un nombre grandissant de baleines noires est observé dans le golfe du Saint-Laurent, où ces petits crustacés sont présents. Une migration plus longue occasionne une plus grande dépense énergétique pour les femelles, ce qui peut nuire à la reproduction. Si la femelle réussit à mettre au monde un baleineau malgré tout, il n’est pas assuré qu’elle sera assez en forme pour produire suffisamment de lait pour le nourrir. En effet, des études sur la baleine noire australe ont montré que le volume corporel des femelles qui allaitent diminue de 25% en seulement 3 mois.

Dans les dernières décennies, les périodes de natalité particulièrement faibles sont associées à l’observation d’un plus grand nombre de blessures et d’une santé générale diminuée. Cela suggère que la dénatalité peut être liée aux empêtrements fréquents des baleines noires de l’Atlantique Nord dans les engins de pêche. Cette espèce est particulièrement atteinte par les collisions et les empêtrements parce qu’elle se déplace lentement et en surface. Le stress causé par ces évènements pourrait nuire à la reproduction ou à la capacité des baleines de mettre à terme leur grossesse. Heureusement, ces périodes sont généralement suivies d’une remontée du taux de naissance, lorsque les conditions de santé sont de nouveau propices.

En outre, la faible diversité génétique des baleines noires pourrait nuire à leur capacité de reproduction. En effet, les petites populations sont particulièrement à risques de reproduction entre individus trop apparentés génétiquement. Ces individus peuvent être non compatibles génétiquement et produire des fœtus non viables.

La mise en place de mesures de protection de la baleine noire en 2018 par Pêches et Océans Canada et Transports Canada semble avoir été efficace. Les autorités ont recensé 3 empêtrements et aucun décès en eaux canadiennes lors de la dernière année, une nette diminution par rapport aux 18 décès et 5 empêtrements documentés en 2017.

Il faudra attendre quelques années pour savoir si la diminution de mortalité et d’évènements stressants permettra une remontée de la natalité. En attendant, on peut espérer que ces sept naissances soient le commencement d’une série de bonnes nouvelles pour l’espèce.

Sources

  • (2010) Browning, C., R. M. Rolland et S. D. Kraus. Estimated calf and perinatal mortality in western North Atlantic right whales (Eubalaena glacialis). (États-Unis). Marine Mammal Science 26(3): 648-662.
  • (2018) Christiansen, F., F. Vivier, C. Charlton, R. Ward, A. Amerson, S. Burnell et L. Bejder. Maternal body size and condition determine calf growth rates in southern right whales. (Australie). Marine Ecology Progress Series 592: 267–281.
Actualité - 20/2/2019

Jeanne Picher-Labrie

Jeanne Picher-Labrie a rejoint l’équipe du GREMM en 2019 comme rédactrice à Baleines en direct et naturaliste au Centre d’interprétation des mammifères marins. Baccalauréat en biologie et formation en journalisme scientifique en poche, elle est de retour en 2021 pour raconter de nouvelles histoires de baleines. En se plongeant dans les études scientifiques, elle tente d’en apprendre toujours plus sur la mystérieuse vie des cétacés.

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