Au bout du fil, sa voix sourit. Jean Roy est propriétaire de la compagnie Croisières Baie de Gaspé. Les baleines, c’est son gagne-pain, mais c’est d’abord et avant tout sa passion. Ainsi, même l’hiver, il se balade dans le parc national Forillon à la recherche de grands souffles à admirer. Le 23 mars, il n’est pas déçu. «Il y a deux rorquals à bosse à moins d’un kilomètre de la côte. Je les vois très bien», se réjouit-il. Il les admire une vingtaine de minutes près du phare de Cap-des-Rosiers. Les deux baleines plongent dans un petit rayon. Elles pourraient être en train de s’alimenter. Une proie printanière pourrait d’ailleurs se cacher sous les flots: le capelan. Ce poisson arrive habituellement en même temps que les baleines, qui sont à ses trousses.
À peine ai-je raccroché que j’interpelle des observateurs réguliers habitant le village pour leur signaler l’observation. Vers 18h30, ils célèbrent! Deux rorquals à bosse apparaissent devant leur fenêtre, probablement les mêmes individus observés plus tôt.
De l’autre côté de la péninsule gaspésienne, à Cap-aux-Os, un aubergiste préparant l’ouverture de son établissement remarque un grand souffle au large le 23 mars. Il regrette d’avoir oublié d’apporter ses jumelles!
À Pointe-Saint-Pierre, une observatrice repère le 20 mars son premier souffle de la saison, non loin de l’ile Plate. La grande baleine a une toute petite nageoire dorsale, ne montre pas la queue et a un souffle bien visible. Un rorqual commun? C’est possible!
Toujours en Gaspésie, une cinquantaine de bélugas défilent en un long cortège devant Cap-Chat le 21 mars. Durant l’hiver, les bélugas se regroupent dans le golfe du Saint-Laurent. Au printemps, ils entament leur relativement petite migration, les menant parfois à longer la péninsule gaspésienne pour gagner l’estuaire.
Des bélugas y sont d’ailleurs déjà présents. À Saint-Irénée, des pêcheurs tendent leurs fascines pour être prêts pour l’arrivée des capelans. Ils notent le passage d’un petit groupe de bélugas le 18 mars. Quelques jours plus tard, un capitaine sur un navire commercial croise deux ou trois bélugas devant Gros-Cap-à-l’Aigle, près de La Malbaie. «C’est la première fois que j’en vois aussi tôt», s’étonne-t-il.
Phoques hors de l’eau
Les 22 et 23 mars, à Penouille, des phoques communs se reposent sur la glace par centaine. La baie de Gaspé compte encore des glaces suffisamment fortes pour soutenir le repos de ces mammifères marins.
Huit phoques communs choisissent plutôt de dormir sur des rochers, le 24 mars, à Notre-Dame-du-Portage, dans le Bas-Saint-Laurent. L’observateur s’étonne de les voir si tôt. «Ils arrivent normalement en avril avec la fonte des glaces, mais cette année, se sera en mars… la nature étant ce qu’elle est. Il n’y a pas de glace.»
Les phoques peuvent se reposer sur plusieurs «matelas»: le rivage, un rocher, une bouée ou encore une glace. Or, des prédateurs ou une plage trop animée peuvent les obliger à rester au large. Les phoques ont donc développé la capacité de ne dormir qu’à moitié lorsqu’ils sont dans l’eau. Ce n’est que lorsqu’ils peuvent dormir hors de l’eau qu’ils profitent d’un sommeil profond. Les baleines, elles, ne dorment toujours qu’à moitié, reposant un côté du cerveau à la fois. Ainsi, elles peuvent éviter de se noyer. Mais alors qu’on croyait que les rorquals à bosse ne dormaient qu’à la surface, une séquence filmée et publiée dans nouvelle étude montre trois rorquals à bosse en plein repos, parfois jusqu’à 19 mètres sous l’eau!
Les oiseaux printaniers
Tous nos observateurs ont aussi une passion pour les oiseaux. Et le printemps est un excellent moment pour profiter du passage d’espèces migratrices. Un peu partout, les macreuses et eiders à duvet font leur apparition.
Aux Escoumins, un ornithologue photographie des harles huppés, des hareldes kakawis et des garrots d’Islande. À cette période, les garrots d’Islande forment des couples, se courtisent avec des parades qui se terminent parfois en prise de bec entre mâles. «La baie des Escoumins est sans doute le meilleur endroit au Québec pour observer l’espèce et ils nous en mettent plein la vue en ce moment», souligne l’ornithologue. Puis, plus au large, un phoque gris émerge près d’une cinquantaine d’eiders à duvet.